Luz y Sombra

Texture

Avec mon amie (appelons-la Célia), nous avons du travail par dessus la tête en ce qui concerne la création de notre revue poétique. L’appel à textes est prometteur. Je suis en charge de la direction artistique du projet. Actuellement je présélectionne les poèmes et images qui feront partie de la revue. Il y a du bon, du mauvais et un entre-deux délicat et assez problématique dans lequel je surnage. Comment dire à la personne qui propose quelque-chose que l’idée et bonne, qu’il y a du potentiel mais que le texte a besoin d’être retravaillé pour être plus percutant et répondre à la qualité que nous exigeons ? Et comment le dire quand c’est Célia ou moi qui, de plus, avons personnellement sollicité la personne pour qu’elle veuille bien participer ? Après tout, nous ne sommes pas éditrices. Nous avons à coeur de publier des artistes. Mais leur travail les concerne. Il faut que je trouve l’équilibre, la manière de rester à ma place tout en appelant à l’ouverture du participant sur une vision partagée de son texte. Par exemple, lui dire que j’ai beaucoup apprécié son poème, et qu’à mon sens il peut faire beaucoup mieux en revisitant le rythme, certains mots, en épurant, en taillant dans le matériau. Nous sommes une revue engagée et de proximité. À ce titre je pense que c’est aussi mon (notre) rôle, d’accompagner les artistes. Voilà. En me disant ça, ça me parait plus facile. Ensuite, la personne décidera si elle accepte mes conseils ou non.
Mais c’est exhalant de monter une revue. D’avoir un projet d’envergure. D’y croire. De partager des idées. De communiquer notre amour pour les mots et l’époque dans laquelle nous vivons.
Sans ça, sans ce projet là, je crois que je n’irai pas très bien. Le travail se passe bien, merveilleusement bien même. (Moi qui déclamais à tort et à travers que je ne reviendrai jamais au salariat). Avec Artémis, ma responsable, on est vite devenues amies. À tel point qu’on va souvent se prendre des verres sur le Vieux Port après la journée de travail. À tel point qu’on se paye des fous-rires frénétiques des dizaines de fois par jour. On parle de cul tout le temps. De nos plans. De nos histoires… Tout en restant hyper performantes sur les chiffres, sur le taff… Enfin. Tout va bien de ce côté là. Même si avec mon temps partiel et mon découvert à la moitié du mois je me retrouve dans une précarité que je n’ai jamais connue je crois. Et ça m’angoisse beaucoup.
Les amours, même si je n’ose pas encore penser à cette relation en ces termes, tant elle est loin de mes habitudes, de mes penchants et de tout ce que j’ai pu connaître auparavant. Les amours donc, ça va aussi. Je le vois ce soir d’ailleurs. Pour un coucher de soleil quelque-part. Puis une soirée dans le 1er arrondissement à laquelle j’ai été conviée par une comédienne rencontrée à la boutique en février. (Je l’avais maquillé et nous avions sympathisé.) Lui, appelons-le Ismael. Oui. Melville… Parce-que son histoire est très similaire à celle du personnage interprété par Sami Bouajila dans le film de Kechiche La faute à Voltaire. Je crois me souvenir que le film commence comme ça, par la voix de Sami Bouajila qui dit "Appelez-moi Ismael" , comme dans l’incipit du roman de Melville. C’est d’ailleurs là que je suis tombé amoureuse de ce prénom. Ce soir, je vois Ismael donc. Avant ça, ce week-end, il avait sa fille. Alors hors de question d’aller chez lui. Même si lui est prêt à me présenter sa fille, moi je lui ai fait comprendre qu’il était bien trop tôt pour ça. Je ne sais pas… Avec lui je suis en flottaison, comme dans un interstice cotonneux, une brèche entre mon passé douloureux et mon futur incertain. La tendresse est innée, les peaux en fusion, le sexe évident, le bonheur troublant. Je ne sais pas quoi faire. Artemis et Tiff, mes collègues, m’ont dit que je puais l’amour. Je ne comprends pas. Pourquoi lui et pourquoi maintenant ? Je ne sais pas… Quand je suis sans lui je me dis Non, arrête-ça, c’est n’importe quoi ! Il est trop bien pour toi. Trop grand pour toi. Trop adulte pour toi. D’ailleurs, bizarrement, dimanche dernier on a croisé son ex et sa fille en allant nous promener aux calanques. Le choc. Le malaise. J’ai vu une femme accomplie, mature, et je me suis sentie plus gamine que jamais, même si bien plus belle qu’elle, bien plus désirable mais… ça ne fait pas tout n’est-ce pas ? Surtout, j’ai vu sa fille : une petite princesse de 4 ans aux magnifiques cheveux bouclés et aux immenses yeux de chat. Il l’a prise dans ses bras pour l’embrasser, tandis qu’elle me fixait de ses immensités félines. Et mon coeur s’est serré de les voir tous les deux. Beaux. Dans cet amour là que je ne connais pas et peut-être ne connaitrai jamais. Je suis quoi moi, comparé à ça ?
Et pourtant, mardi dernier, seule dans son appartement, j’ai lu son cahier dans lequel il écrit tantôt en arabe tantôt en français. Je n’ai pas osé lire tout ce qu’il avait écrit sur moi. Par pudeur et par peur mais une phrase m’a touché : Anne, je veux que tu sois ma dernière histoire.
Célia m’a envoyé le logo définitif de notre revue. Il est parfait. Je vais prochainement créer la page Instagram. Nous allons aussi bientôt lancer une campagne de crowdfunding, une campagne Ullule plus précisément, pour financer la revue. Nous n’avons toutes les deux pour l’heure aucun argent à investir. Surtout pas moi....
Je suis inquiète, j’ai un peu mal à la vulve… Je sens que ce soir on ne va pas pouvoir faire l’amour et ça me contrarie beaucoup. Je suis sure que j’ai un truc type mycose ou autre… Ça me contrarie d’autant plus que j’avais acheté une huile lubrifiante au CBD que je rêvais de tester avec lui ce soir. Merde ! Et comble de l’angoisse, avec cette petite douleur, je me suis mise en tête que j’avais un lychen vulvaire. Sainte-Marie priez pour moi !