Hier soir, c’était la Pleine Lune en Scorpion. Signe d’eau et d’émotion. Signe sombre. Côté obscur. Il se trouve que le Scorpion est mon signe lunaire. Le signe lunaire correspond justement à notre part sombre. Il est le signe qui gouverne cette partie de nous que peu de personnes sont amenées à rencontrer. Nos deux ou trois amis les plus proches, notre moitié. Eventuellement un frère ou une soeur. Ce que j’ai pu être scorpion avec Papillon!
J’ai très mal dormi cette nuit. La faute au mistral qui m’a tellement asséché la gorge (entre autre) que j’ai subi une angine toute la nuit. Chez Ismael bien sur, que j’ai empêché de dormir en me tortillant dans tous les sens.
Je me sens un peu mieux, quoique sonnée.
Je suis encore chez lui car j’ai voulu rester au chaud aujourd’hui et ne pas sortir encore dans ce vent pénible. Il dort sur le tapis, juste rentré du travail. Je n’ose pas le réveiller. Même si j’ai très envie de lui. Il est claqué.
Nous nous sommes retrouvés hier en fin de journée pour faire des courses afin de cuisiner chez lui. C’est toujours chez lui qu’on se voit. C’est tellement plus grand, plus propice aux soirées en amoureux que mon petit studio peu fonctionnel dans ma tour bruyante et cafardeuse du quartier hospitalier de La Timone. (Je dis hospitalier de part la présence d’un hôpital, et non pour un quelconque aspect accueillant de mon arrondissement.)
Je voulais lui cuisiner des asperges à ma manière : sautées à la poêle, avec beaucoup d’huile d’olive, un peu de jus de citron. Puis agrémentées de lamelles de fraises et de copeaux de parmesan. Bon… ce n’était pas mon meilleure opus hier soir. J’ai envie de dire la faute au mistral. Il a bon dos. (Et moi j’ai mal à la gorge). On a donc dîné d’asperges. Que j’ai cuisiné en picorant des olives et en sirotant une très bonne bouteille de Saint Emilion qu’on a ouvert pour l’occasion. On a discuté de manière un peu animée sur le féminisme. On n’est pas toujours d’accord et il n’a pas toujours les mots justes de part la barrière de la langue, ce qui créé parfois des tensions. Sachant que j’étais déjà de mauvaise humeur et un peu tourmentée car Papillon ne va pas très bien. Il a pris sa douche et quand il est revenu dans la cuisine je faisais carrément la gueule. Il a su me calmer, m’attendrir, m’assouplir. Comme il sait le faire avec son chat… Puis, pendant que je finissais de dresser les assiettes, on a parlé couple, nouvelles façon de faire couple, d’envisager la vie à deux, le mariage. Il est très traditionnel, je suis avant-gardiste dans l’âme. J’essaie de l’ouvrir à des idées auxquelles il n’avait jamais songé. J’espère que ça porter ses fruits. J’écris ça. Et dans le même temps, une part de moi a envie de lui appartenir. D’être à lui. J’avais avoué ça à certaines amies après ma rupture : qu’après presque 10 ans de couple se voulant moderne, dénué de jalousie, plutôt ouvert à la liberté, j’avais envie de me sentir appartenir à un homme. Je suis plutôt bien tombé avec lui… Mais je refuse pour l’instant de nous considérer comme un couple. Ça me terrifie.
Punaise ! Je voulais être seule, prendre du temps pour moi, me retrouver, me consacrer à la lecture et à l’écriture, à la revue de poésie… Et je me retrouve à passer presque tout mon temps libre avec un homme d’ici. Même pas vraiment d’ici. De là bas, de l’autre côté de la mer. Et j’y vois cette évidence qui m’a poussé à m’exiler à Marseille. "Plus près de tes racines" m’avait dit une amie poétesse. "Plus près de ta grand-mère, de l’Algérie et de l’exil" Et me voilà, ici, dans ce vent infernal, à réparer je ne sais quelle blessure générationnelle. (Enfin si, je le sais un peu...)
Après dîner, nous avons longuement discuté de le Tunisie, de ses oliviers, de la sécheresse et des nuits d’arrosage sans fin quand il retourne là bas. Je l’écoutais, fascinée. Ses yeux brillaient d’un ailleurs dans lequel je m’engouffre toute entière à chaque fois qu’il l’aborde.
Puis, nous avons fait l’amour sur son canapé. Et j’ai ruiné le tissu bleu. Il m’a tellement fait mouiller (je ne crois pas que ça me soit déjà arrivé) que je coulais. Il fait un truc avec sa main qui m’inonde à chaque fois. Mais hier, c’était dingue. Je giclais. Je n’arrivais pas à croire que ça venait de moi. Même lui m’a dit que c’était plus que d’habitude. J’ai même eu honte. Le canapé était trempé. Il a du le nettoyer. La faute à la Pleine Lune en Scorpion ?
Bon, finalement le monsieur des cafards ne vient pas ce matin car on lui a volé sa fourgonnette dans la nuit (C’est Marseille bébé!)
Ça me laisse du temps ce matin pour continuer d’avancer sur la sélection des poèmes, répondre à un e-mail et travailler la version 2 de mon texte pour l’atelier avec Louise à l’école Les mots. Après, j’irai bosser, en espérant qu’Artemis sera revenue à la normale avec moi. En chemin j’irai faire un bisou à Ismael.
(Un copain m’a écrit il y a peu qu’il espérait que la vie était douce avec moi. Ça m’a fait cogiter. Douce n’est pas le mot, ai-je répondu… Je dirais plutôt que la vie est juste avec moi.)
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Le mistral souffle depuis plus de 48 heures sans discontinuer. Et ce n’est pas fini. Ça me tape sur les nerfs. Le linge sur la terrasse qui menace de s’envoler. Les volets qui claquent. Les pots de fleurs vides en plastique qui raclent les dalles du balcon. Les graminées qui rentrent dans les yeux. Les cheveux et la peau qui s’assèchent. Le mascara qui coule. Les fenêtres forcément fermées. La force des bourrasques qui empêchent de marcher.
Je le vois dans l’humeur des gens. Dans celle d’Artemis, ma manager, qui a subitement changé de comportement envers moi, ce qui m’alerte un peu..
Dans mon humeur aussi, plus changeante (à moins que ce ne soit déjà la pilule, comme pour ce bouton sur mon menton, moi qui n’ai plus d’acné depuis très longtemps?) Même mon corps est plein de ce vent indésiré. Mon ventre est comme constamment gonflé et je ne sais pas pourquoi.
Aujourd’hui je lis des textes envoyés pour le revue. Encore une fois, beaucoup de médiocre. Il y a dans beaucoup de textes reçus quelque-chose de didactique qui me dérange et me déplait. Et cela vient notamment de gens que j’ai personnellement sollicité. Ça m’embête tellement. Mais je ne veux pas sacrifier notre exigence littéraire pour ménager des égos. Bientôt, je vais devoir trancher. Et je n’ai vraiment pas hâte.
Ce soir c’est l’anniversaire d’Angie, ma copine mexicaine. Elle fête ça dans un bar à bière entre Cours Julien et La Plaine. Il faudrait que je sorte lui faire un petit cadeau. Je pensais à un livre ou un savon de Marseille agréablement parfumé. Il y a cette charmante et qualitative petite parfumerie juste derrière l’église du Vieux Port. Elle partage d’ailleurs ses murs avec ladite église. Mais c’est loin. Je vais plutôt aller à la librairie non de chez moi. Flemme de prendre le métro.
Hier matin, je me suis réveillée chez Ismael. Le sexe était moins agréable, non par manque de désir mais à cause de ce traitement anti-mycose que je venais de terminer et qui m’a je crois asséché. (À moins que là aussi, ce ne soit déjà les effets de ma pilule ? Ça me fait peur.)
Le sexe était moins agréable mais le connexion encore plus forte que les fois précédentes. La soirée était simple et belle : il avait acheté des bricks et des légumes pimentés dans son très bon petit troquet tunisien du quartier de Noailles; on a bu une très bonne bouteille de rouge (joie que le Ramadan soit terminé) et on a parlé pendant des heures; on a fait l’amour sur son canapé bleu et je l’ai senti amoureux, ses gémissements me disaient qu’il était au delà du plaisir; on s’est lavé les dents; on s’est couché et dans le noir de sa chambre je l’ai sucé et chevauché, on s’est serré dans les bras à fusionner je te kiffe trop, il a dit, je te kiffe trop, mais sa voix était au delà du kiff, et moi aussi.
Le matin nous avons refait l’amour. Bu ensemble le café qu’il avait préparé. Il est parti travailler. Restée seule, j’ai pris ma douche, je me suis couchée de son côté du lit (olala, je viens de réaliser ce que j’ai écris) et je me suis masturbé dans la pénombre. Je lui ai envoyé deux photos sexy pour lui souhaiter une belle journée. J’ai grignoté une clémentine, du pain du beurre et du fromage. J’ai traînée un peu. Ouvert un tiroir de son armoire dans lequel j’ai vu qu’il garde un cheche palestinien. Et je suis sortie affronter cet insupportable mistral pour me rendre au travail, ce qui a ruiné ma coiffure et ma tentative de maquillage. Mais en chemin, je suis passé le voir sur son chantier. On s’est retrouvé devant. On s’est vu quelques minutes et séparés à contrecoeur.
Il m’a dit qu’avec moi il s’était accroché. Qu’après notre premier rendez-vous il ne voulait absolument pas passer à côté de moi. Qu’il n’avait jamais vécu ça auparavant : 6h00 avec une inconnue sans voir le temps passer. Il m’a dit qu’il avait trouvé ça fluide, pure, sain.
Ce n’est pas un coup de coeur pour moi. Ce n’est pas la passion délirante que j’ai autrefois expérimenté, avec Papillon surtout. Mais c’est un sentiment grandissant qui s’installe, que je laisse s’installer, même si ça me terrifie. J’ai la sensation d’un tournant décisif dans ma vie. Encore une fois, d’un déchirement.
(J’ai la sensation que cet homme est là pour me faire grandir, passer dans une autre strate.)
Mes voisin du dessus, des jeunes, viennent de frapper à ma porte car leur chat a disparu. Du 6ème étage ça me fait peur pour eux. Ils m’ont fait de la peine.
Et : Louise vient de me faire son retour quant au dernier texte que j’ai écris pour l’atelier. Elle m’a écrit que c’était excellent. Je vais l’envoyer à Papillon.
Aller, je vais sortir acheter ce cadeau pour Angie.
Hier, j’étais seule à la boutique. Longue journée. Je n’avais pas revu Ismael depuis dimanche matin dernier, avant mon départ pour Paris.
Hier matin, il avait son audience concernant son retrait de permis. Il était extrêmement stressé depuis plusieurs semaines à l’approche du verdict. (Sans permis il ne peut pas travailler...). Bien sur moi, j’attendais de ses nouvelles avec anxiété.
Vers 13h, alors que j’étais avec une cliente, je l’ai vu qui me souriait de l’autre côté de la vitre de la boutique. Joie. Instantanément à son sourire j’ai compris que ça allait, qu’on ne lui avait pas retiré son permis. Instantanément, mes jambes sont devenues cotons, j’ai commencé à trembler, une chaleur dans le ventre et la gorge. La cliente a du sentir le changement dans mon attitude. Je n’étais plus ni maître de mes mouvements ni de mes mots. (Je réalise en écrivant à quel point je suis ridiculement en train de tomber amoureuse.)
Quand elle est partie, je lui ai fais signe d’entrer. Il m’a dit qu’effectivement, le procureur était de son côté, et qu’il avait pu garder son permis. Il s’en est sorti avec une amende de 900 euros. Il m’a dit qu’il voulait me serrer dans ses bras. Dans la boutique impossible bien sur, il y a des cameras et je ne veux pas me faire remarquer alors que je viens de démarrer dans cette boîte. Mais : cette envie irrésistible de le toucher. Tout le temps. Partout.
Pourtant je sais qu’on est différent. Il y a un décalage culturel que je ressens très fort parfois. Il y a un caractère que je sens difficilement compatible avec le mien. Une forme d’autorité qui pourrait me faire peur. Mais : cette douceur dans sa voix, cette étincelle rieuse dans ses yeux, ces rides sur son visage, cet amour fou pour sa fille qui le rend beau, cette lumière attendrie dans son regard quand il m’écoute parler et parfois dire n’importe quoi. Je n’arrive pas à lui dire "on arrête là"
Ce soir, après le travail, je vais chez lui. Et maintenant je suis tranquille : analyses faites et rien à signaler niveau santé, contraception en place (même si ce n’est pas celle que je voulais). On va pouvoir se faire plaisir la tête légère. Surtout avec ce soulagement immense de son côté...
Enfin, ma tête n’est pas si légère. Jamais. Dans ma tête il y a Papillon. Dans mon coeur aussi. Son amour évident pour moi, son admiration, sa fragilité, son coeur immense, sa maladresse, ses démons, sa magnificence. (Voilà je pleure.) Etreindre un autre homme dans le sommeil, c’est une sensation contre-nature. Et pourtant je la cherche.
Je ne me connais plus.
Les poèmes que l’on reçoit avec Célia pour notre revue de poésie sont parfois si mauvais. Ça va être terrible d’envoyer les mails de refus. Enfin moi ça m’angoisse. Les pires je crois, ce sont ces poèmes écrits pas des hommes cis blancs et hétéros, le plus souvent quinquagénaires, aux relent néo-coloniaux. Des espèces de saletés complaisantes dans lesquelles ils décrivent leurs fantasmes d’exotisme à coup de langoureuses et dégradantes envolées sur des "peaux d’ébènes" et autres "fruits couleur d’ambre". Exaspérant.
Bon, mon propriétaire vient de m’appeler : la société qui s’occupe d’éliminer les cafards va me contacter pour intervenir ! Ouf...
Et : mon frère vient de me laisser un commentaire sous mon dernier poème Instagram comme quoi il y aurait une coquille dedans. Je ne la vois pas.
La semaine dernière, je me réveillais chez lui pour la première fois. Son sourire. Ses rides avant l’heure. Mes mains dans ses boucles noires. Ses lèvres collées aux miennes. "T’aimes baiser toi." Je lui ai demandé s’il s’agissait d’une question. Il m’a dit que non, que c’était une remarque. "T’aime baiser. Tu fais pas semblant."
Depuis, je suis revenue dîner. Il me cuisine à chaque fois des plats tunisiens délicieux. Depuis, il m’a emmené en randonné dans les calanques. On s’est posé sur une montagne, à écouter le vent.
Il a 40 ans. Il va fêter ses 41 ans le 5 avril prochain. Il est né le même jour que ma mère. Je crois qu’il m’aime bien. Je crois que je lui plais vraiment. Il me fait très bien l’amour. Et je sais qu’avec lui, ça peut être divin. J’ai le coeur déchiré. Tiraillé. Je meurs de culpabilité en pensant à Papillon. Avec qui l’on s’est dit qu’on ne se séparait pas vraiment. Qu’on attendait simplement d’aller mieux. De guérir, surtout lui, chacun de notre côté. Mais moi c’est dans les bras d’un autre que je guéris.
Un autre qui n’est pas dans mes habitudes. Un homme absolument inattendu. Un homme dont je me dis qu’il faut que j’arrête de le voir mais qui m’émerveille à chaque rencontre. Un homme qui a une cafetière italienne, un grand appartement, une table basse magnifique faite par ses mains, un Coran, une fille de 4 ans. Un homme qui avant tout ça a traversé la Méditerranée sur un petit bateau.
Et je me demande bien ce qu’il peut me trouver, avec mon visage de gamine, d’enfant gâtée.
Je le kiffe beaucoup trop et ça me terrifie.
Sur sa table basse, un mot que j’ai laissé: Ça va me manquer ces prochains jours de sentir tes mains sur mes fesses (fesses, écris en arabe tunisien, je me suis concentrée et appliquée, car il m’a appris ce mot ce matin).
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Le week-end dernier, en Normandie, dans la maison de ma soeur, fraîchement achetée (et franchement défraîchie), j’ai beaucoup parlé de Sofiane. Avec ma soeur justement, ma nièce et Y., un ami de ma soeur. J’ai commencé à envisager les choses sous un autre angle.
Mais d’abord, il me faut revenir sur les évènements passés.
Il y a aujourd’hui 4 semaines, pile-poil, j’avais mon premier rendez-vous avec Sofiane. On avait convenu qu’il me retrouverait à Montparnasse, dans la rue où je travaille. Qu’il connait, évidemment.
Je m’étais habillé subtilement sexy. Un jean noir moulant taille haute, un chemisier fleuri noué au dessus de la taille et des Nike noires. J’avais deux ou trois choses à régler sur place avant notre rendez-vous. Tellement stressée que j’en avais presque la nausée. Finalement il m’a envoyé un message pour me signaler qu’il était là. Qu’il m’attendait au coin de la rue, à la Poste. Je suis sortie, j’ai dit au revoir à Xav, à mes collègues (au courant de mon aventure à venir) et je me suis dirigée vers lui. Je l’ai vu avant qu’il ne me voit. Les jambes en coton. Après tout ce que nous avions échangé cet été, il était là. Il m’a vu. On s’est souri tandis que j’avançais vers lui avec toute la dignité dont j’étais capable. Si tu savais à quel point j’ai envie de te sentir en moi. De mêler mon sourire au tiens.
Arrivée à sa hauteur, je lui ai dit bonjour. Un peu gauche. Mais presque tout de suite il m’a pris dans ses bras. Et il m’a serré fort. Plaquée contre lui, beaucoup plus petite que lui (je n’avais pas remarqué comme il était grand), je l’ai serré à mon tour. Ne sachant pas trop ce que j’étais sensée ressentir. Son corps tremblait. Il m’a parlé. Sa voix aussi, tremblait. Je l’ai senti très ému. Je l’ai trouvé amaigri. Bien plus maigre que la dernière fois où je l’avais massé. Je ne sais plus du tout ce qu’il m’a dit. Mais je me souviens de son odeur. Il sentait légèrement la sueur. ça m’a plus. ça m’a rassuré. Je crois qu’il m’a fait un bisou sur la joue mais… Je ne sais plus.
On a marché. Remonté la rue de Rennes. (Cette rue dans laquelle j’avais cassé mes poignets l’hiver dernier. Je lui ai montré l’endroit.) Il n’arrêtait pas. Il n’arrêtait pas de parler. De gesticuler. J’ai compris très vite son hyperactivité. C’est vraiment toi cette fois, il m’a dit. Ce n’est pas une story!
Oui, j’ai ri. C’est vraiment moi.
Son énergie venteuse était telle qu’elle m’obligeait à poser la mienne. Je souriais sans pouvoir m’en empêcher. Parce-que, petit à petit je découvrais : qu’il était le contraire de ce que je m’étais imaginé. On a finalement trouvé une terrasse assez mignonne pour s’asseoir prendre un verre. Tous les deux munis d’un faux pass, bien sur, d’un pass prêté par un tiers. Moi, j’étais Laurianne, 25 ans. Et lui John, 38 ans. J’ignorais à quel moment on était sensé s’embrasser. Mais c’est vite arrivé. C’est venu de lui, une tornade permanente. Au début, la sensation de ses lèvres était étrange pour moi. Il a une moustache (évidemment, ça va de pair avec sa guitare de Manouche) et des lèvres assez fines. Je n’ai pas l’habitude. C’est nouveau. Il était : nouveau.
Je ne sais plus trop dans quel ordre on a parlé : de Marseille, de son ex (avec qui ça s’est très mal terminé, Fany et moi avions vu juste), de la guitare, du jazz Manouche, de son autisme (léger mais avéré) et du fait qu’il n’ait pas de filtres, et puis des massages, de l’invraisemblance de ce que nous vivions… Je ne sais plus trop à quel moment j’ai pris goût, un goût délicieux, presque délirant, à ses baisers, à sa bouche, à sa langue entre mes dents, à sa salive qui persistait sur mes lèvres, à l’ardeur de ses mains dans ma nuque, sur mes hanches, sous ma chemise. Mais, un peu troublée par sa nouveauté exquise, j’ai dû lui dire ce dont je me doutais bien qu’il pensait être de l’histoire ancienne. D’ailleurs, je n’ai pas eu à prononcer les mots. Heureusement d’ailleurs, ils sonnent faux, ne veulent rien dire. Ou ne le disent pas comme il faut.
Simplement, j’ai baissé la tête, très embarrassée. Avec cette peur qu’il se lève et se casse. J’ai baissé la tête et j’ai dit Tu sais que.... Et il a compris. Ah, il a fait, merde. Il pensait que c’était terminé avec Papillon. Il s’était mis en tête que c’était terminé. Et j’ai bien vu; la tristesse dans ses yeux, la déception. L’amertume. ça m’a fait mal au coeur. Et à cet instant, j’aurais aimé qu’il ait vu juste…
(S, je crois que je suis tombé, d’une façon étrangement rapide, amoureuse de toi.)
Je lui ai demandé ce qu’il ressentait par rapport à ça. De la frustration, il a répondu. Tu ne seras pas ma meuf, je dois me faire à l’idée. J’ai des limites… Je dois digérer ça… Je dois juste le digérer.
J’ai vu que dans ses yeux, quelque-chose s’était éteint. Un espoir ?
(S, si tu savais comme je veux tout. Je te veux toi en plus de lui.)
Il s’est vite repris. On a continué à se balader. Jusqu’à la place Saint Sulpice. On s’est posé sur un banc. à cheval, mes jambes contre les siennes. Sa folie joyeuse. Sa relation compliquée à son côté tunisien. (Il est donc métis, maman bretonne et papa tunisien), sa totale surdité de l’oreille droite, Papillon qui part justement dans le Sud la semaine où lui est à Paris, sa terrible envie de me faire l’amour, sa sensation de bien-être totale à mes côtés, ma beauté qui le fait halluciner, l’endroit qu’il nous faudra trouver pour faire l’amour, j’ai envie d’être nu contre toi, de te pénétrer tout doucement, de te dévorer, sa façon de tout dire, tous les mots qui lui passent dans la tête. Je sais que j’ai les yeux qui brillent. Je sais que quand il mord mes lèvres, quand il mordille mon cou, j’ai les reins en feu. Sans aucune gène, il ouvre mon chemisier et découvre mon sein gauche. On est dans la rue. Stop, je ris. Il est dingue et je le kiffe bien plus et de manière bien différente que dans mes fantasmes.
Ce que je vois aussi; une hypersensibilité turbulente, une possible fragilité, une intelligence maladroite et vertigineuse, un cerveau qui va encore plus vite que lui. ça m’impressionne. Je sais que c’est incompatible avec une quelconque idée de couple (enfin je crois, me connaissant), mais je sais aussi que je le veux dans ma vie. Tout mon être, mon coeur, mon corps, chaque cellule de ma peau, le désire sur le long terme.
Je lui fais part de ma timidité. Que je n’ai pas son aisance pour exprimer comme lui mes envies à l’oral, sans filtres et sans fards. Il me dit qu’il saura me prendre la main. Qu’à ce moment là, il saura me prendre la main… Et : je fonds.
Il se fait tard, il a des amis à rejoindre et moi je dois rentrer. On marche jusqu’au métro. Et je le sens conquis. Tu fais fondre mon coeur Anne, il m’enlace, tu me plais très fort.
On s’embrasse comme des amoureux. Sans pouvoir, sans savoir : s’arrêter. On se dit à mercredi. Et moi, je suis conquise. Peut-être même que je le suis depuis la première fois où j’ai posé les mains sur lui, en juin 2019.
Tard dans la nuit, il a liké mon dernier haïku, enfin mon dernier tanka, qui parlait clairement de lui.
Je me sens mieux.
Je crois qu’il garde ses distances car il me sait en couple.
Il pleut. Léger orage. Papillon a entamé hier la tournée du chanteur Tim D… de qui il est le bassiste. Une date dans le nord de la France et ce soir une date à Bruxelles. Une tournée de 3 mois. C’est génial pour lui. çA lui avait tellement manqué.
Je crois que mes reins commencent à aller mieux. Même si je crois aussi qu’en plus de l’infection j’ai des calculs.
L’orage s’intensifie. Ainsi que la pluie. Je voudrais écrire ça à Sofiane : que j’aimerai l’écouter avec lui. Mais je ne peux pas. Je n’ose pas. Depuis notre rendez-vous, il a pris ses distances. Pas seulement géographiques. Il ne m’écris plus. Se contente de répondre de façon laconique à mes messages déjà bien épurés. Quel contraste avec cet été ! Cela me rend triste. Désoeuvrée. Avec toute cette énergie amoureuse qui fourmille et dont je ne sais pas quoi faire.
A sa distance, je vois deux raisons:
-Il s’est emballé comme un fou. Il m’a fantasmé comme jamais. Et la réalité l’a déçu. Après m’avoir baisé toute une nuit et une grande partie de la matinée, le soufflé est retombé. Et ce mois d’échanges intenses et passionnés n’était en fait qu’un long mois de préliminaire avant un coït qui l’a totalement désintéressé de moi. C’est décevant. çA me fait mal. Et c’est étrange d’envisager que lui, il peut être comme ça en fin de compte.
-Le fait que j’ai un copain l’a refroidi. Après tout, quand on s’est vu, il pensait que c’était terminé. J’ai bien vu que ça l’avait meurtri. Frustré. Alors maintenant il se tient à distance, tout en sachant qu’il ne peut qu’être mon amant et qu’à ce titre, il me reverra en novembre. Basta
Dans tous les cas ça finit mal, comme chanterai Dadju.
Dans tous les cas, moi ça me fait mal.
Si mal que j’en suis malade physiquement. Oh ! Cette impression désagréable d’être Madame de Tourvel...
Les reins.
Voyons ce que nous dit Michel Odoul, maître Shiatsu français, sur cette partie du corps dans son livre indispensable Dis-moi où tu as mal je te dirai pourquoi
"Les maux des reins
Ils nous parlent de nos peurs. Qu’elles soient profondes et essentielles (la vie, la mort, la survie) ou bien en relation avec le changement. Les problèmes rénaux peuvent signifier que nous avons de la difficulté à lâcher sur des habitudes ou des vieux schémas de pensée ou de croyance. Cette résistance au changement peut être due soit à des peurs, à une insécurité, soit à un refus de bouger, à un entêtement sur des croyances profondes que nous refusons d’abandonner, bien que tout semble nous y amener pour ne pas dire forcer. Cette cristallisation sur de vieux schémas peut aller jusqu’à se traduire par une cristallisation équivalente au niveau des reins (calculs). Ces maux s’accompagnent aussi souvent de tensions, voire de douleurs au niveau lombaire. (...)"
Les maux de la vessie
Ils sont le signe de nos difficultés à évacuer nos "eaux usées", c’est à dire nos vieilles mémoires qui ne sont plus satisfaisantes. Croyances anciennes, vieilles habitudes, schémas de pensée inadaptés à la situation présente sont autant de ces "mémoires" qui "intoxiquent" notre esprit, comme les toxines le font pour le corps. ...
L’orage s’est tu. Mais pas mes reins. Mais pas ma tristesse ni ma déception.
Que me dis Michel Odoul ? Il me dit que je souffre car je refuse de lâcher prise sur des schémas erronés avec lesquels je me suis construite et dévaluée. Et c’est vrai. Dés que nous nous sommes quitté jeudi midi dernier avec Sofiane, j’ai eu peur. Peur qu’il me rejette. Peur qu’il m’oublie. Peur qu’il change d’avis. Peur qu’il ait été déçu. Et pourquoi cette peur ? En quoi ça me concerne ? En quoi ç’est mon problème si il change d’avis ? C’est entre lui et lui. Ma valeur ne se mesure pas à ce qu’un homme pense de moi!
Mon vieux schéma de croyance c’est celui là; je crois que ma valeur réside dans l’admiration et le désir que me portent les hommes que moi j’admire ! Depuis toujours. Leurs regards me donnent vie. Si je n’ai plus ce regard, je disparais.
Quelle bêtise et quelle tristesse. (écris t-elle vivement tout en regardant frénétiquement si Sofiane a répondu à son dernier message...)
C’est ça que je veux changer. Travailler. Vaincre.
C’est pour ça que mon corps m’a terrassé, m’a forcé à garder le lit, enfiévrée et les reins en compote. Pour que je prenne conscience de ça.
Je ne peux pas continuer, mon bonheur et ma confiance en moi ne peuvent pas continuer, à dépendre ainsi du bon vouloir d’un homme, aussi merveilleux et aussi perché soit-il. Aussi talentueux et brillant soit-il. Je vais faire ma Carrie Bradshaw mais, s’il n’est pas capable de voir à quelle point je suis brillante, il n’en vaut pas la peine.
La personne qui sait voir ça, elle est déjà dans ma vie. Papillon. Il est mon socle (comme Sofiane l’a d’ailleurs très bien analysé). Mais malheureusement, avec ma folie des grandeurs, ça ne suffit pas. Son seul regard ne suffit pas.
(Le seul regard qui devrait suffire est le mien.)
Ce besoin d’être vue et aimée. Par des musiciens, toujours par des musiciens. Qu’est ce que ça dit de moi ?
Ce que je constate, aussi, c’est que cette introspection forcée m’est tombée dessus pile-poil à l’équinoxe d’automne. La saison, justement, de l’introspection, du bilan, du tri, du nettoyage...
C’est incroyable comme les choses, chez moi, se manifestent avec des correspondances énergétiques fortes ! Je pense à deux équinoxes de printemps où j’ai vécu des libérations (celle, en 2017, via mon avortement et cette de cette année, quand on m’a retiré mes attelles.) L’équinoxe de printemps est celle de la libération, du retour à la lumière, de l’envol…
Tiens, Sofiane vient juste de s’abonner à mon compte Instagram de haïkus, et mon coeur vient de s’emballer, ma température de monter d’un coup...
Il va découvrir ce que j’ai écris en pensant à lui.
Il va : me donner de la valeur.
Et j’ai revu Sofiane. Je l’ai revu la semaine dernière quand il était à Paris. Je l’ai revu lundi, et puis mercredi soir… jusqu’à jeudi midi.
Court mais intense. Il est presque l’inverse de ce que je m’étais imaginé.
J’avais brièvement parlé de lui dans cet écrit : Normandie du 6 avril 2021.
Sofiane était un client à moi que j’avais massé pour la première fois en juin 2019. J’avais immédiatement été touchée par lui; sa douceur, son respect, sa gentillesse, ses mains, son joli corps de félin, ses tatouages et surtout, surtout, sa musique. Un guitariste. Un guitariste de jazz manouche. Le comble de la poésie (juste après le Flamenco, mais quand même ! ) Le jazz manouche c’est toute ma jeunesse. C’est le festival Django Reinhardt à Samois sur Seine avec les copains, c’est Les yeux noirs (première mélodie que j’ai appris à jouer sur ma guitare), c’est, encore, cette immense affiche du film Swing de Tony Gatlif dans ma chambre de jeune fille....
Et tout à coup, comme un coup frappé à la porte de ma mélancolie, ce garçon étrange avec sa guitare sur le dos, qui vient se faire masser par moi. Ce garçon étrange qui porte avec lui cette poésie désuète, comme sorti du siècle précédent. Avec : sa moustache et ses yeux noirs. Avec son grand corps de félin où courent des veines puissantes comme les embouchures d’un delta.
(Métaphore qui me renvoie à mon actuelle infection urinaire haute, conséquence directe de ma nuit avec ledit delta...)
Par la suite, il est revenu deux fois se faire masser. Et moi j’aimais toucher ses mains, ses cuisses, son ventre...
Bien sur, il n’y a jamais eu de geste déplacé, ni de sa part ni la mienne. Et finalement, la dernière fois qu’il est venu, il m’a annoncé qu’il partait vivre dans le Sud (à Marseille), et je me suis sentie déçue, attristée. Mince, je ne l’aurai jamais eu cette occasion de lui proposer un café ! Le dernier regard qu’on a échangé, je m’en souviens : il était dehors et moi à l’accueil de mon lieu de travail, nos regards se sont croisé avec ce qu’il faut de regret et d’envies tues. Ce qu’il faut pour rester en alerte et se dire "ceci n’est pas terminé".
C’était en mai 2020.
Et je l’ai revu en septembre 2021…
Tout s’est accéléré cet été. Bien sur, grâce aux réseaux sociaux, nous sommes restés plus ou moins en contact tout ce temps. On s’épiait l’un l’autre sur Insta et Facebook. Je fantasmais sur lui, parfois même, j’avais rêvé de lui. Souvent dans mon lit, lors des absences de Papillon, je me prenais à penser très fort à Sofiane. Humide dans mon lit je songeais à : ses airs de guitare. Je songeais à son appartement à Marseille, à cette photo de Django posée sur sa cheminée, à ses draps dans lesquels je brûlais de m’enrouler : dans son odeur que je connaissais déjà un peu. (Je la connais maintenant, mêlée à la mienne, et je n’ai qu’une envie : m’y replonger).
Certains de mes haïkus étaient pour lui. Celui-ci par exemple :
Mes courbes sous tes doigts-
comme si j’étais ta guitare
fais les onduler
Mais je m’égare. Tout s’est accéléré cet été donc. Au mois d’août précisément. Je suis allé passer 3 semaines dans l’appartement de papa en Vendée au bord de la mer. Fany est venue me rejoindre la deuxième semaine (celle où il a fait beau et chaud tous les jours...)
Le vendredi 13 août, j’ai posté en story une photo de moi en maillot de bain sur la plage. Le soir, après avoir fait je ne sais plus quoi avec Fany, j’ai vu que Sofiane avait répondu à cette story sur Messenger.
Juste quelques mots : Beauté de toi...
Mais j’ai compris : qu’il avait ouvert une porte. Qu’on pouvait, enfin, démarrer cette séduction étouffée qui brûlait en nous depuis le début. Et puis cette évidence, cette attirance à la fois physique mais aussi puissamment énergétique, comme issue d’une dimension spirituelle qui nous échappait un peu.
Beauté de toi...
Après moultes tergiversations, verres de Troussepinette (spécialité vendéenne) et petits cris d’excitation en tous genres, j’ai opté pour une réponse sobre et entrouverte:
Venant de toi ça me touche...
(Notez les nombreux points de suspension, significatifs des débuts de flirts.)
Au fil des jours, nos discussions se sont faites aveux, toujours plus enhardis. Aveux d’attirance, de fantasmes, de rêves, d’envies, de désir, de sentiments troubles… Je lui ai écrit un poème qui l’a beaucoup touché. Sa réponse m’a, littéralement, jeté dans la passion de lui. M’a littéralement enflammé le ventre. J’avais des vagues et des noeuds. J’étais stone de lire ses mots. Chaque nuit, je me caressais en pensant à lui. Et presque chaque matin, je le lui avouais, à demi-mots. Et lui aussi.
(Certains de ses messages étaient, à mon sens et à celui de Fany, des déclarations d’amour.)
Sur la plage, incapable de faire autre chose que de penser à lui, je lisais ses mots; J’ai envie de te faire l’amour au soleil, de te pénétrer lentement, tu es divine...
Tu es divine Anne...
Et moi, je lui disais à quel point j’avais envie de le sentir en moi, puis j’allais nager dans l’eau fraiche en contemplant le soleil et les goélands.
Dans la cuisine, en me servant fébrilement un verre de vin, je lui ai écrit que j’avais cette envie douloureuse qu’il vienne défaire, un à un, les noeuds que j’avais dans le ventre. J’étais comme sonnée, droguée, ivre avant le vin.
Et puis, il me l’a dit. Il m’a dit qu’il viendrai, défaire un à un, les noeud que j’avais dans le ventre.
Et puis il a fallu rentrer. Quitter cet été de soleil, de mer et d’amour grandissant et d’amour : différent.
Reprendre le travail. Impatiente de pouvoir enfin le toucher comme j’avais vraiment envie de le toucher.
Il est arrivé à Paris le 11 septembre, et ce matin là, Papillon m’a fait l’amour divinement. Comme s’il savait… J’ai joui très fort, dans l’amour de Papillon. Et : avec cette certitude nouvelle que je pouvais aimer différemment ailleurs.
To be continued…
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À quel endroit j’appartiens exactement ?
(Je n’en sais rien.)
Comme le sabbat de Beltane arrive le 1er mai, je me suis dit ce matin qu’il serait intéressant d’écrire un bilan de mon hiver pour réfléchir à ce que je pourrai en tirer, en comprendre, en apprendre.
Selon la tradition païenne, Beltane célèbre l’arrivé de l’été et la fécondité. C’est le moment d’être dans l’action, de poser les graines de ce que l’on souhaite récolter au solstice d’été.
Le bilan de mon hiver donc.
Je retiens de mon hiver, dans l’ordre;
cette tristesse immense pour un vieux chat croisé un jour de grand froid. Un vieux chat de mon quartier, malade et abandonné, dont la détresse évidente m’a causé une peine infinie. Vraiment, ça m’a tourmenté des semaines. J’ai tenté des choses pour l’aider. Je sais aujourd’hui qu’il n’est pas seul et qu’une dame des environs s’en occupe. Mais : cette tristesse était démesurée, imperméable au reste. Je me souviens en souriant que, même si Papillon s’est montré touché et attendri par ma grande sensibilité, il n’a pas compris un tel ouragan de chagrin.
cette prise d’ecstasy au Nouvel An. Sortir de ma zone de confort, le coeur battant. Mais suffisamment bien entourée pour ne pas avoir peur. Papillon était là et m’a accompagné tout du long.
cette détermination à faire d’Alejandro mon amant. Et puis cette aventure, délicieuse et intense. Cette immersion dans les flots d’une excitation retrouvée. Que je pensais avoir perdu en chemin, quelque part entre mes 21 et mes 28 ans. Quelque part entre le Mexique et la place de la Bastille. Cette illusion que j’avais trouvé un homme à ma hauteur, prêt à voler avec moi dans des espaces azurés. Cette aventure qui : s’est arrêtée au bon moment, puisque l’homme n’avait ni ailes, ni légèreté.
cette déception terrible. Ce retour en terre. Et puis:
ma chute un jour de neige. Cette glissade douloureuse, comme un point presque final (j’ai revu A. une fois après ça, pour faire l’amour sans savoir que c’était la dernière entrevue.) Ces os brisé. Pas n’importe lesquels non; mes poignets, à la fois lieux de toutes mes faiblesses et outils les plus précieux pour mon travail. Pas de hasard, jamais, jamais.
cette immobilisation forcée et je dois l’avouer, ce soulagement à ne pas aller travailler. Cette immobilisation forcée qui m’a quand même couter 5 kilos en plus dont il faut absolument que je me débarrasse...
la reprise de l’écriture. Point le plus important de mon hiver figé. Le bonheur de mettre en mots les tourbillons dans ma tête. Le bonheur de raconter mon aventure avec A. Qui, bien qu’il m’ait déçu, a fortement contribué à mon retour à l’écriture.
la publication de mes haïkus. Oser dépasser mes appréhensions et croire en ma créativité. Croire qu’il y a de la place pour moi aussi, dans le monde de la poésie.
et finalement la prise de conscience que, vu l’entrain que j’ai à l’idée d’y retourner, mon travail m’ennuie passablement. Je dois reconsidérer, redéfinir, faire évoluer. Je ne m’amuse (presque) plus.
Voilà mon hiver. Mis en ordre, j’y vois un cheminement. Un fil conducteur. Un sens. De la tristesse suprême à la libération ultime.
Libération car, c’est à l’équinoxe de printemps qu’on m’a libéré de mes attelles. Comme un symbole de renaissance.
Tout comme il y a 4 ans, c’était à l’équinoxe de printemps que j’avais avorté. Qu’on m’avait libéré de mon foetus. De quoi j’avorte quand j’avorte ?
A ces deux libérations au moment de l’équinoxe, je ne vois pas de hasard. Seulement la symbolique d’une renaissance nécessaire.
Musique écoutée : https://youtu.be/7wvg71IDoAE
(Sofiane Pamart; j’aime son jeu, tellement aérien, ses mains comme des oiseaux qui se posent sur les touches du piano.)
Je suis revenue il y a quelques jours de mon séjour en Normandie. Je suis revenue de la campagne. Est-ce qu’on en revient vraiment, de la campagne ? Quelque part, on est tous de la campagne. On la porte avec nous, toujours. Même au coeur de la cité la plus bétonnée. Je crois que les coeurs, tous les coeurs, aspirent à ce vert tendre, cette douceur vallonée, ces insectes agaçants et rieurs, cet air que l’on devine pur seulement par comparaison avec l’air vicié qu’on respire dans la ville, et qui soudain nous saisi par son immaculée caresse. Particules de rien contre particules fines. Particules de vie contre la mort lente de notre appareil respiratoire, engorgé de ville. La vie contre la ville. La campagne contre le béton. La nature franche contre les arbres rasés et la forêt reconstituée.
Nous parlions de ça hier avec Sofia, lors de notre promenade dans un des (rares) écrin de verdure de notre ville : on a rasé un petit bois, vers Romainville, pour créer une espèce de parcours de santé… Un parcours de santé dans lequel on va replanter des arbres, paysager l’espace, reconstituer une forêt. Mais : une forêt rassurante car créée par l’Homme. A son image. Avec des chemins tamisés et bien proprets.
Quelle absurdité ! Dans ma tête, le lien est court : parcours de santé = raser des arbres. On n’aura vraiment rien compris ! Rien appris !
Quand on sera tous mort du COVID19 ou d’une autre maladie qui arrivera bien vite, il sera trop tard pour réfléchir à l’inconséquence, à l’incohérence, à l’orgueil immense.
Malgré tout, je vais bien. Je me sens bien. Le retour à Paris a été difficile. Mais ça va mieux. C’est surement que la campagne est restée avec moi. Et que je sais qu’elle est là, quelque-part, même dans ma cité bétonnée. Qui, j’exagère, n’est pas si bétonnée : on est entouré d’arbres. Les tilleuls bourgeonnent. Les oiseaux sont nombreux et me sont d’un grand réconfort.
Je me sens bien. Le printemps est ma saison. Même si je suis née à l’aube de l’été, je suis une fille du printemps.
J’ai plein d’idées, d’envies, de projets. (Par contre j’appréhende la reprise du travail).
J’ai bien ancrée, fourmillante, cette envie de me lancer dans la publication de poésie. Je réalise que ce que j’écris, pas seulement ici, mais sur mon portable, un carnet, dans ma tête, s’apparente à une forme de poésie, émancipée des normes classiques, ancestrales et rigides. Ces normes, instituées par un académisme patriarcal, entravant la créativité. Rupi Kaur, la poétesse qui monte en ce moment, s’est affranchie de ces constantes. Je lis actuellement son recueil Lait et Miel. Je ne sais pas si j’aime. (C’est une traduction, ça dénature forcément la poésie.) Mais c’est novateur. Dans la forme, c’est surprenant. Il y a ce texte qui m’a touché cependant, dans la première partie de son recueil intitulée Souffrir:
"tu me rentres dedans avec deux doigts et c’est un choc. c’est du caoutchouc qui frotte contre une plaie ouverte. je n’aime pas. tu pousses de plus en plus vite. mais je ne sens rien. tu cherches à déceler une réaction sur mon visage alors je commence à simuler ces femmes nues dans les vidéos que tu regardes quand tu penses que personne ne te voit. j’imite leurs gémissements. faux et affamés. tu me demandes si c’est bon et je réponds oui aussitôt comme dans un souffle préenregistré. je fais semblant. tu ne le remarques pas."
La tristesse et la violence de ce texte. (Tout le contraire de l’amour avec A.)
Cette injonction à ne pas s’écouter, à satisfaire l’égo de l’homme, à ne plus exister pour que lui se sente puissant. Ce viol permanent, consenti pour se sentir normale et/ou être tranquille.
Je l’ai expérimenté aussi, bien sur, dans des draps oubliés. Cette simulation du plaisir quand on ne ressent rien, et qu’on s’interroge; qu’est ce qui cloche chez moi ?
A mon âge, j’ai cette certitude que ça ne m’arrivera plus. Même si, comme beaucoup de gens, j’ai été violée.
Rupi Kaur. Tout ça pour dire que je suis viscéralement habitée par la poésie. Et que je pense à un recueil de tous mes textes sur mes origines, que j’intitulerai Héritage. C’est à ça, exactement à ça, que je pensais samedi matin dans le métro pour rejoindre ma soeur. Je pensais à Héritage. Soudain, un homme (qui s’avéra être une femme) monte dans le métro un livre à la main. Je regarde le titre. Héritage. (Oui, Héritage, de Miguel Bonnefoy). Saisie de joie, je l’ai pris pour un signe.
Finalement je n’ai pas écris sur mon séjour à la campagne. Je le ferai plus tard. J’ai faim.
]]>Ces rêves là, Papillon les fait avec son père aussi. Ca doit être classique chez les gens qui ont perdu un proche. Chez les enfants qui ont perdu un parent tôt.
Mais dans tous les rêves avec ma mère, ou presque tous, sa personnalité m’insupporte. Ce n’est jamais vraiment elle.
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On mène une vie de retraités en fin de compte. On ne travaille pas. On ne sort pas boire des coups et danser un peu. On ne fait pas de rencontres excitantes. Rien.
Enfin, je parle de moi. Je mène une vie de retraitée; je ne peux pas travailler. Mais moi, quand je ne travaille pas, je ne gagne pas d’argent. Zéro. Nada. Avril est un mois sans achats. Sans, presque, de sorties. Sans rencontres. Rien. Sans argent on ne peut rien.
Avec Papillon, est on est précaires. Tous nos amis, ou presque, sont propriétaires, partent tout le temps en week-end ou en vacances dans quelque résidence secondaire. Pas nous. Nous, c’est à dire moi, masseuse et facialiste à mon compte et lui musicien, on n’a pas d’argent. Ou si peu. Nous, on est locataires dans un HLM du 93. Nous, on n’a pas papa et maman pour nous aider. Mais, nous : on a fait des choix différents. Tout plutôt qu’une vie d’asservissement à des entreprises qu’on déteste. Je les voix, mes amies; aucune passion dans ce "qu’elles font", rien de poétique, rien d’artistique. Des bull-shit jobs, pour la plupart. Sauf Fany, qui est instit', passionnée par ce qu’elle fait, et qui s’éclate. Mais bien sur, elle non plus n’est pas propriétaire...
Et sauf Lou, qui vit selon ses principes. Qui vit sa liberté. Qui enseigne le français au Costa Rica. Comme je l’envie parfois!
Alors, même sans argent, je ne me plains pas. Car pour rien au monde je ne retournerai en entreprise. Plutôt me prostituer. Déjà que, dans le fait d’être prestataire free-lance pour une entreprise, il y a des choses qui me gênent… J’appréhende ma reprise d’ailleurs. Qui aura lieu le 3 mai si tout va bien. La différence de rythme avec maintenant va être drastique. Douloureuse.
Ceci étant dit.
Avant hier, avec Fany, on est allé se promener au Jardin des Plantes. Il faisait un temps magnifique. Au soleil, presque chaud. Ces temps où l’on n’arrête pas d’enlever et de remettre son blouson, au gré des courants d’air et du va-et-vient des nuages.
Nous nous sommes assises sur un banc, face aux parterres de fleurs et aux cerisiers. Derrière nous, la chênaie et la frênaie. La fraîcheur des arbres. Nous avions avec nous une petite bouteille de grenache et une autre de chardonnay. Fany avait pensé aux gobelets. Moi, à rien. Fany a beaucoup parlé. Je l’ai beaucoup écouté. Ca ne me gêne pas. Plus je vieillis, moins je parle. Parce-que tout ce qu’il y a dans ma tête me fait peur. Il n’y a rien de joyeux. Il n’y pas de confiance. Et il y a peu d’espoir.
Dans ma tête; le dérèglement climatique, la crise démographique, les espèces qui disparaissent, l’élevage industrielle, les gens qui s’en foutent, les humains qui se multiplient comme des parasites, la télé-réalité et toutes ces choses absurdes qui plaisent aux masses décérébrées. Dans ma tête aussi; la certitude scientifique qu’en 2064, soit dans 43 ans, l’Amazonie sera pour ainsi dire une savane qui émettra du gaz à effet de serre. Presque toute vie en aura disparue. Lieu de mort et de désolation. Alors dans ma tête la question : qui a envie de mettre des enfants au monde face à une horreur pareille. Dans ma tête, encore; les chasseurs, les violeurs d’enfants, les violeurs tout court, l’impérialisme, la suprématie patriarcale qui régit tout, les extrémismes religieux qui font peur, les guerres absurdes qui menacent tandis que les ressources s’amenuisent. Dans ma tête, toujours; les débats stériles qui polluent l’espace politique, l’espace publique, ce temps perdu à passer à côté de l’essentiel.
Alors, écouter les autres. Ces autres intelligents. Ces rares personnes que j’ai la chance d’appeler amis. Les écouter, moi ça me repose la tête. Même si, finalement, ils n’ont conscience que du quart de la lucidité terrassante que j’ai dans la tête, toujours. Et c’est suffisant. Sinon, très certainement, je n’aurai pas d’amis.
Nous sommes restées plus de 3h00 sur ce banc. A boire et discuter. Puis, les gardiens du parc ont utilisé leurs affreux et stridents sifflets pour faire sortir les visiteurs. En sortant : un majestueux cerisier en fleurs. Touffu et cotonneux comme un nuage rose. Une barbe à papa. Une bienveillance enfantine dans laquelle j’aurai voulu m’enfoncer. Pour ressortir, peut-être, de l’autre côté, dans un monde merveilleux. Un monde qui aurait été bien géré, respecté, aimé. Un monde sans hommes très probablement. Une opportunité. Une nouvelle chance pour l’Humanité. Un autre côté du miroir qui serait le contraire du monde dévasté qu’il reflète. Un monde, derrière les fleurs de ce cerisier, dans lequel les girafes courraient encore dans les plaines. Un monde dans lequel l’Amazonie, luxuriante, ne serait pas menacée de devenir une savane dans 43 ans.
43 ans. J’aurais 77 ans.
Mon portable était éteint. Je n’ai pas pu prendre en photo ce superbe cerisier. Ce cerisier de conte de fée. Je me demande si je ne vais pas ressortir mon appareil photo reflex. Celui que j’utilise en voyage. Ce ne sont pas les voyages qui m’étouffent en ce moment… Le plaisir de faire de la photo me manque : le viseur optique, le nez qui se fronce tandis qu’un oeil se ferme, les réglages, le "clac" de l’obturateur...
La dernière fois que j’ai utilisé cet appareil, je crois que c’était durant le périple Vietnam- Cambodge-Laos qu’on s’est offert avec Papillon entre décembre 2018 et janvier 2019. Le Vietnam, évidement.
Le dernier grand voyage que j’ai fais. L’Asie du Sud Est. Là où les tigres sont chez eux.
En parlant de tigres, aujourd’hui, j’ai fais un don pour une cause qui me tient à coeur. Le Train Tigers Rescue; depuis 10 ans (depuis leur naissance en fait) 4 tigres sont enfermés dans un wagon de 20 mètres carrés en Argentine, abandonnés là par un circassien et soumis aux aléas de la météo sans pouvoir se protéger. Rien. Un agriculteur local les nourris une fois par semaine. Rien d’autre. Une vie de calvaire. Un cauchemar. Trois associations se sont unies pour les sauver, les sortir de cet enfer et leur offrir une vie digne dans un sanctuaire en Afrique du Sud. Elles ont besoin de 100 000 euros. J’en ai donné 15. C’est peu. J’aimerai pouvoir faire plus. J’espère que beaucoup de gens vont se mobiliser et que ces tigres vont être sauvés. Cette histoire m’a beaucoup touché. M’a pronfondément ému. Les animaux ont toujours été mon inspiration et mon cheval de bataille. Je le vois dans mes haïkus d’ailleurs. C’est drôle; ils évoquent presque tous des animaux.
Je vais suivre cette histoire de près. En espérant que cela va vite se régler.
Sinon.
Papillon est parti enregistrer en Normandie avec son groupe. Leur nouveau titre a bien démarré. J’ai appelé papa, il avait l’air d’aller bien. Ma rééducation se passe pas mal malgré un claquage à gauche la semaine dernière et une fragilité certaine de mes poignets. Ce week-end, je repars dans le Perche avec ma soeur. On va encore visiter des maisons pour elle. Je suis en pleine lecture d’un très beau livre de Duong Thu Huong, Au zenith, qui me ramène au Vietnam. Dans la sensorialité du Vietnam.
Bien sur, je raconterai mon voyage ici. Ce sera un bonheur de l’écrire. De : le raconter.
Car je manque d’inspiration. Depuis Alejandro, qui me dégoûte maintenant, peu de choses m’inspirent. Ecrire est plus laborieux.
C’est tout, je crois, pour aujourd’hui.
Ce trajet en voiture; on a tellement ri que de l’arrière, j’ai vu les épaules de Nat se secouer durant toute la durée du voyage.
Je crois que ce qui a déclenché nos premiers rires, c’est quand j’ai été persuadé d’avoir vu Thierry Le Luron sur le siège passager d’une voiture passée à côté. Nat et So en choeur :
-Thierry Le Luron ??!! ! Mais il est mort il y a 30 ou 40 ans!
-Ah ! non alors c’était pas lui. Attendez je vais trouver...
Finalement, j’ai trouvé : Laurent Baffie.
So : On passe de Le Luron à Laurent Baffie.
Elle ajoute Et pourquoi pas Louis de Funès ? Hey les filles, j’ai vu Louis de Funès dans la voiture d’à côté!!
Fou rire général.
On a ri pour plein d’autres choses. Mais vraiment, c’est Louis de Funès dans la voiture d’à côté qui m’a fait le trajet. Voire le week-end. Je ne me fatigue pas facilement de ce qui m’a fait rire. Surtout quand c’est de moi que vient la bêtise Ce qui arrive souvent.
Voilà, la petite. Voilà pourquoi je suis le rayon de soleil. Je fais rire aux larmes, parfois sans le vouloir, souvent en le voulant.
Après avoir ri comme des folles durant plus de deux heures, on est finalement arrivé dans le Perche où ma soeur achète une maison. On faisait une contre visite.
Nouveau fou rire quand J.P, mon cousin qui a aussi sa résidence secondaire dans le coin, est venu jeter un oeil sur la maison. Il s’avère qu’il travaille dans le bâtiment et "qu’il s’y connait". Il s’avère, aussi, que la première fois que nous étions venues avec ma soeur, nous n’avions pas remarqué une vieille fenêtre/trappe sur la façade arrière droite de la maison. Elle doit donner sur les combles; inaccessibles et que nous n’avons pas pu (ni pensé à) visiter. Intriguées, on en a parlé à J.P. Il nous a donc demandé la date estimée de la construction de la maison. Moi, très sure de mon fait : 1974!
-Non, c’est pas possible, a dit J.P, une maison comme ça c’est plus début du XXéme siècle. Plutôt 1910.
Et So d’ajouter Mais enfin Anne, pourquoi, en 1974, des gens iraient s’emmerder à placer une trappe tout en haut de la maison, accessible seulement par une échelle ? C’était fini les granges à foin dans les années 70!
Avec ma soeur on pleurait de rire presque. On n’avait pas pensé à ça.
(Cependant, je précise que sur l’annonce de vente de la maison, il est bel et bien écrit qu’elle date de 1974. Ce qui est forcément une erreur. Rien que dans la façon de construire, les matériaux utilisés… et surtout cette trappe qui donne sur les combles. J’en ri encore.)
Bon. On a passé un superbe week-end. On a logé dans un gîte très mignon, avec sauna et jacuzzi, dont la chambre donnait sur les près et les vaches.
Dans le jacuzzi, j’ai raconté à ma cousine la suite et fin de mon histoire avec Alejandro, qu’on a rebaptisé pour l’occasion Manolito. Il était presque présent dans le jacuzzi avec nous. Jacuzzi dans lequel : je me suis empressée de prendre des photos de moi en maillot de bain pour ensuite les poster en story sur Instagram afin qu’il puisse les voir… J’ai même tagué #manolito. Il ne comprendra pas.
Mais lâche prise enfin !
Pourquoi je ne lâche pas prise ?
Il y en a bien un autre que j’adorerai avoir pour amant. Mais voilà : il est parti vivre à Marseille. Sofiane. Un ancien client à moi. Un musicien. Et pas n’importe quelle musique : du jazz manouche. Il est : guitariste de jazz manouche. Dans les story qu’il poste sur Instagram, chez lui en train de jouer de la guitare, j’aperçois toujours en arrière plan cette photo de Django. Django Reinhard en noir et blanc sur son rebord de cheminée. Et ça me plait.
Plusieurs fois, j’ai touché son corps. Plusieurs fois, ses tatouages ont dansé sous mes doigts. En tout bien tout honneur. Une valse sage, pas une salsa endiablée. Mais là, c’est ce que j’aimerai avec lui; ses tatouages sous mes doigts pour une danse plus torride. Il n’est plus mon client.
Plusieurs fois j’ai rêvé de lui. Les rares fois où il remonte sur Paris, j’aimerai avoir l’audace de lui proposer qu’on se voit. Mais je n’oserai pas; trop timide pour ça.
Et pourtant et pourtant, j’en rêve.
Sinon : j’ai fini hier soir le dernier livre de Sandrine Collette, Ces orages là. Je me disais:c’est fou, elle écrit comme moi. Enfin, j’écris comme elle, un peu. Elle a cette écriture durassienne, mélancolique et ponctuée, dont elle use et abuse. Même influence que moi. Ca l’a marqué comme moi. Hypnotisée, comme moi. Impossible de s’en défaire. Une influence pareille, ça prend toute la place.
Je me souviens qu’avant même d’avoir lu Duras, j’écrivais comme elle. J’avais vu l’Amant avant de le lire. Et la voix off de Jeanne Moreau, dans les modulations caractéristiques du rythme de Duras qu’elle prenait, avait suffit pour que je comprenne. Pour que je saisisse. Pour que je m’empare de ça : de ce rythme là.
J’ai toujours eu l’oreille musicale.
C’est peut-être pour ça qu’il n’y a qu’eux qui me plaisent; les musiciens. Aux musiciens, je pardonne tout.
C’est parti de là.
De la discussion avec Papillon, l’une de mes préférées; celle sur les discriminations raciales.
C’est là que Papillon m’a dit qu’il ne me considérait pas comme une Blanche, mais comme une Latina.
J’étais stupéfaite. Absurdement flattée. Joie saugrenue. La fierté ridicule de me sentir différente, minoritaire, étrangère. Dans les yeux de Papillon, personnification du métissage caribéen, ne plus être une Blanche me donnait plus de valeur. Comme si, chargée d’une histoire plus douloureuse et plus intéressante, je prenais consistance. Comme si ma texture s’affermissait dans le moule de la pluriethnicité. Comme si, également, la chape de culpabilité d’être une Blanche, responsable de tout ce qui est brisé en ce monde, s’envolait, me libérait. Comme si j’étais : absoute. Comme s’il m’avait : purifié.
En fait, non, c’est parti de plus loin que ça. La mort de ma mère peut-être, et la recherche généalogique qui s’en est suivie, très vite avortée, faute de sources.
Plus récemment encore, mon travail sur les ancêtres cet automne. En me tirant les cartes, j’ai été confronté à des questionnements remuants.
Depuis longtemps, en fait, depuis le Flamenco entré dans ma vie. Et depuis l’Algérie, où je n’ai jamais mis les pieds. Et surtout, depuis le Maroc, où je brûle de les poser, mes pieds.
Ma cousine m’a dit : c’est toujours sur la branche du père qu’on tente de grimper, au plus haut des ramifications généalogiques. Car : on porte son nom. La mère nous porte, littéralement, pendant des mois. Nous met au monde. Nous allaite, mais : le nom est plus fort. Le nom est plus fort.
Depuis longtemps, ce besoin d’en savoir plus. Savoir d’où je viens. Savoir qui je suis. Et cette discussion récente avec Papillon : Je ne t’ai jamais considéré comme une Blanche.
Alors, depuis peu, quelque-chose se construit. Se met en place. Quelque-chose est en train de surgir subtilement de mes brumes. "Y que al menos tu recuerdo ponga luz sobre mi bruma." ("Et qu’au moins ton souvenir éclaire mes brumes de sa lumière.")
Et ce matin, mue par une inspiration soudaine, j’ai écris tout ça. En tapant du pouce sur mon portable, assise au bord du lit :
« Je n’ai pas toujours été belle. Enfin : je n’ai pas toujours été belle pour les hommes et les garçons qui m’entouraient. Pour les hommes si, peut-être, pour les garçons non, pas toujours.
Les garçons un peu plus âgés que moi ont deviné avant moi que j’allais être belle. C’est comme ça que la beauté est entrée dans ma vie;
Elle est entrée par les mots des garçons plus âgés qui voyaient en moi ce que je ne voyais pas encore.
J’étais une enfant brouillon. Des cheveux bruns très épais, bouclés. Des sourcils indisciplinés qui se rejoignaient, presque, au dessus de mon nez. Des yeux marrons , yeux de cochon, avec des cils long et fins.
Une petite bouche en cœur, impossible à fermer car : des dents trop présentes, trop écartées, trop dévorantes. Des dents de lapin.
Entre cochon et lapin, je n’avais pas ces cheveux lisses, châtains ou blonds, que les autres semblaient attendre pour dire qu’une fille était belle. Je n’entrais pas dans la catégorie claire et définie du royaume des Blancs. Je le sais aujourd’hui.
Et pourtant j’étais blanche, mais : une blanche brouillon, une blanche brouillée, une petite espagnole, une fille de pied noir.
Ma mère, aussi loin que je sache, vient du terroir français. Ma mère est une blanche. Mais ses cheveux : tellement noirs, tellement épais, tellement drus. Des cheveux non crépus qui poussaient à l’afro. Elle n’a jamais pu les avoir longs. Volumineux oui, longs jamais. Ses cheveux de Méditerranée. Son corps de Méditerranée. Son visage parfait, sa beauté saisissante et brune.
Mon père : ses cheveux noirs frisés dans les rues de Fez, à jouer aux billes avec les autres enfants , les petits arabes, contre les petits juifs, contre les petits espagnols, contre les petits français. Déjà dans l’enfance : l’appartenance et l’opposition. Mais c’est du jeu, encore.
Mon père, ses cheveux noirs frisés, petit français mais pas depuis longtemps : une génération seulement. Avant, ça aurait été un petit espagnol, un petit andalou pour être plus précise. Et avant ça quoi ? Un petit maure ? un petit juif ? On se sait rien de ce sang là, juste qu’il coule dans nos veines. Le reste, c’est l’ignorance. Voulue ou non.
Ses cheveux noirs frisés et ses yeux olives, lui qui les aime tant, les olives. Lui qui a gardé ça de la Méditerranée. L’a ramené avec lui comme un héritage précieux mais : silencieux. Un héritage qu’on ne dit pas. Ce n’est pas un héritage muet, c’est un héritage tu. Les olives, le cumin, les piments, l’harissa. Tout ça dans les yeux de mon père. »
Quand j’ai relu les deux dernières phrases de mon texte, j’ai pleuré. Tout ça dans les yeux de mon père.
Je pense; écriture se soi. Je pense roman. Autofiction. Quelque-chose se met en place. Qui prend forme et consistance. Comme moi.
Je n’aurai personne à qui transmettre ça. Je n’aurai pas d’enfants. J’arrête la filiation. Pas par manque d’amour envers mon héritage. Mais parce-que je refuse d’imposer un monde à l’agonie qui n’a plus rien à offrir, à des enfants qui n’ont rien demandé. Je refuse d’imposer cette souffrance là. C’est déjà suffisamment lourd à porter pour moi toute seule. Je ne veux pas multiplier cette souffrance.