Maly
Hier, en sortant de la boutique, c’est tout un pan de mon passé qui m’a explosé à la figure. Je me suis trouvée confrontée à l’une des plus grandes hontes de ma vie : une amie que j’ai abandonnée. Maly.
Nous étions amies, âmes soeurs, complices, depuis la seconde au lycée Sonia Delaunay. Nous avons vécu en collocation ensemble pendant trois ans dans ce regretté apartement de la rue Nicolaï, dans le douzième arrondissement de Paris. 6 rue Nicolaï. Code d’entrée de la porte bleue : 62A13, je m’en souviens encore. Trois des plus belles, des plus insouciantes, des plus riches et formatrices années de ma vie.
Maly, j’étais la seule qui pouvait la supporter. Supporter ce caractère piquant, toxique parfois. (Son prénom signifie "fleur qui pique" en lao, pays dont elle est à moitié originaire.) Une amie prodigieuse. Si j’étais Lénou, elle était Lila. Et puis, quand la relation est devenue trop toxique à mes yeux, j’ai juste arrêté de lui parler, arrêté de lui répondre. J’ai quitté notre duo, dans le plus grand silence et la plus grande lâcheté. incapable de lui expliquer les raisons pour lesquelles je ne voulais plus d’elle dans ma vie. C’était en 2012.
J’ai regretté. Mais plus le temps passait, moins je savais comment revenir vers elle après une attitude d’une telle violence. J’ai fermé les yeux sur mon manquement. Et je me suis résolue à l’oublier. Je n’y suis jamais parvenu.
En 2021, je l’ai vu apparaitre sur un écran de télévision, aux côtés de son compagnon de toujours, Filipppo. Ils étaient en lice pour les oscars avec un film qu’il avait réalisé et qu’elle avait co-écrit : Deux. (Film dans lequel l’une des protagonistes se prénomme Anne.) Je me suis sentie admirative, nostalgique de notre amitié, et envahie d’une vraie joie. La joie de voir son visage, de voir qu’elle avait réussi quelque-chose de formidable, de voir qu’elle allait visiblement bien.
Hier, en sortant de la boutique, à 19h15 précises, je me dirige vers la place derrière le vieux port pour jeter les poubelles de la journée. Sur le trottoir d’en face, j’entrevois une silhouette féminine comme figée. J’entrevois des yeux noirs. Ils semblent me fixer. Je regarde une première fois. Je ne réalise pas encore. Je regarde une seconde fois. Je vois Maly. À ses côtés, Filippo, qui tient un landau. On se regarde et je m’avance vers elle. On est toutes les deux très mal à l’aise. Elle a une toute petite voix. Je suis pétrie de honte. Face à son compagnon aussi. Ne suis-je pas celle qui a lâchement abandonné sa femme ?
À ce moment, je ne peux même pas imaginer, concevoir qu’elle puisse vivre à Marseille. Elle est forcément en vacances ici. Mais on parle un peu, j’apprends que son bébé (adorable) a 7 mois. Un petit garçon. J’apprends qu’elle vit à Marseille depuis deux ans. Avant ça, ils étaient à La Ciotat.
On va pour se quitter, gênées des deux côtés. Puis elle me dit que ce serait bien qu’on prenne un café un de ces jours. Alors on echange nos numéros. Et on se dit au revoir.
Je vais lui écrire. Il est temps que je lui présente mes excuses pour la chose terrible que je lui ai faite. Peut-être que ça n’a plus d’importance pour elle. Mais ça en a pour moi.
So. m’a dit hier soir que ce n’était pas un hasard. Et je le sais très bien. Un jour ou l’autre, on est confronté à ses erreurs. Un jour ou l’autre, il faut mettre des mots sur des silences trop pesants.
J’ai peur. Je suis sous le choc. Mais j’ai une gratitude immense pour avoir croisé Maly hier soir, en sortant de la boutique, à 19h15 précises.