Les couleurs
Je sourirai en voyant ce violet profond, velours caressant. Je sourirai, encore, face à ce jaune dissipé qui déborde des pétales et à cet orange discret qui tente de l’assagir, pastel et cotonneux. Mais surtout, je m’émouvrai devant ce fushia vibrant, voluptueux à n’en plus finir, maître du bouquet qui en ordonne la mélodie. Et le vert, écrin végétal des bijoux délicats, oxygène des fleurs et de moi.
J’ai acheté ce matin un beau bouquet de fleurs.
(Je rentrais de mon rendez-vous pour ma radio de contrôle des poignets.)
Je l’ai vu dans le magasin; ses couleurs vibraient joyeusement comme pour m’appeler. Et soudain : impossible d’imaginer le salon sans ce bouquet au milieu. Impossible de rentrer à la maison les mains vides, dépourvues de cette explosion de couleurs qui n’attendait que moi.
A cet instant précis, je me sens bien. Je ne me sens pas submergée d’angoisses pour l’avenir. Ce qui est rare. Les fleurs jouent à être belles dans leur vase. Je ne les vois pas mais je les sais là, dans une pièce toute proche. Leur présence me ravit.
A cet instant précis, les fleurs aux belles couleurs sont dans leur vase, mon chat dort gentiment dans son panier près de moi, de l’encens brûle, mon café fume, la musique joue dans mes oreilles et je suis entourée de mes livres et des instruments de musique de Papillon.
J’ai, posée à côté de moi sur le bureau, ma pierre de citrine. Une ravissante petite pierre jaune translucide sensée apporter joie et réussite à celui qui la détient. J’aime la regarder. Ces jours ci j’en ressens le besoin. Peut-être parce-que l’hiver s’éternise, que je suis la plupart du temps enfermée et que mes sources de joie se sont drastiquement taries au cours des jours passés.
A Alejandro j’avais offert une pierre Oeil de tigre, dans un élan d’affection. Pour le protéger, lui porter chance. J’offre des pierres aux gens qui comptent vraiment. Comment j’ai pu me tromper à ce point sur lui ? Comment j’ai pu penser qu’il savait voler ? Qu’il savait aimer au delà des territoires maintes fois conquis de l’amour ordinaire ?
Ordinaire oui. Médiocre. Sans surprise et sans ailes. Incapable de se libérer de l’amour romantique usité qui ne fait plus rêver les rêveurs. Ce garçon : une erreur de jugement. La déception de mon hiver brisé. De mon hiver aux os cassés. Et pourtant : durant une poignée de semaines, toutes les chansons d’amour et de désir parlaient de lui.
C’est drôle, un lecteur m’a demandé par e-mail quand j’aurai une prochaine aventure de ce type. Ca m’a fait rire. Il m’en faut tellement pour me risquer à emprunter ce chemin là. Une rencontre qui me donne envie d’écartes les jambes pour en jouir pleinement, sans rapport de force, sans rien à me prouver, sans revanche à gagner, ça m’est rarement arrivé. Je ne sais même plus quand ça m’est arrivé. Ce que je sais, c’est que le cocktail de conditions pour que la magie opère est bien trop complexe et subtil pour que deux fois de suite je le réussisse. Ca me rend triste un peu. Frustrée aussi. Mais je suis réaliste. Je me connais bien. J’ai tenté de rencontrer un autre homme, juste après A. Je ne suis pas allé au bout. Car : j’étais dans la revanche, dans la volonté de me prouver que je pouvais vivre encore des instants magiques. Un mec que j’ai décroché, comme la queue du Mickey, sur un célèbre site de rencontre adultère… Beau, latino aux yeux noirs, pilote de ligne (ouais ouais), corps parfait… Mais : en discutant une fois avec lui j’ai senti ses limites. J’ai perçu ses contours. J’ai su son absence de magie. Malgré son métier dans les airs j’ai bien vu qu’il ne savait pas voler. Quelle ironie. J’ai quand-même persévéré, car dans la revanche. Mais non, ce rendez-vous à l’hôtel dont nous avons parlé, je ne l’ai pas confirmé. Je n’y suis pas allé. J’ai ghosté ce garçon. Je n’en suis pas fière.
Je suis dans l’espoir un peu tamisé d’une prochaine rencontre étincelante. Papillon m’en donne la possibilité. Il m’aime libre et épanouie. J’ai cette chance là : de pouvoir, si je veux, faire l’amour ailleurs sans culpabiliser.
Depuis quelques temps déjà, Papillon n’a plus envie, plus de libido, plus d’intérêt pour la chose. Et si je n’avais pas connu A., je n’aurai pas réalisé que j’en souffrais beaucoup, du manque de cette chose là. C’est vrai qu’il n’y a plus de passion sexuelle entre nous. De l’amour oui. Profond et complice. De l’admiration. De la tendresse.Et cette vision du monde qu’on partage intimement. Mais pour l’instant, on ne se rencontre plus comme se rencontrent deux âmes incomplètes qui veulent s’entre-dévorer. Car c’est quoi la passion ? La passion survient quand l’autre est un mystère et que la seule manière de percer ce mystère, de se l’approprier, c’est de dévorer l’autre. Phagocyter le mystère : l’absorber et le détruire. Et après il reste quoi ? Il reste l’amour. Mais comment continuer à désirer ce que l’on a absorbé ? C’est surement le dilemme de bien des couples. C’est le mien. Et je le résoudrai. Mais pas tout de suite. Tout de suite, je veux encore absorber d’autres mystères.
Papillon part dimanche en Andalousie pour tourner un clip dans lequel il interprétera un homme séducteur. Il dit qu’il ne saura pas faire. Qu’il n’a plus ça en lui. Moi, je crois que ça va lui faire du bien. D’autant que la chanteuse qu’il devra séduire dans le clip est une très belle femme.
L’Andalousie, quelle chance ! C’est ma terre, mes racines, mon héritage. J’aurai aimé qu’il la découvre avec moi. Tant pis. On y retournera si le monde nous le permet.
Mon chat se réveille doucement. Je vais refaire du café. En passant devant, je poserai les yeux sur le bouquet. Je sourirai en voyant ce violet profond, velours caressant. Je sourirai, encore, face à ce jaune dissipé qui déborde des pétales et à cet orange discret qui tente de l’assagir, pastel et cotonneux. Mais surtout, je m’émouvrai devant ce fushia vibrant, voluptueux à n’en plus finir, maître du bouquet qui en ordonne la mélodie. Et le vert, écrin végétal des bijoux délicats, oxygène des fleurs et de moi.
Quand je m’attarde à parler de couleurs, je pense à Kandinsky. Il théorisait les couleurs. Pour lui, le jaune dépassait des contours tandis que le rouge, plus lourd, restait bien en place. Ca m’avait plu, cette idée que les couleurs vibraient chacune différemment. Aujourd’hui, quand je regarde du jaune, je trouve qu’il déborde toujours.
(A. lui, ne débordait pas.)
Papillon déborde toujours, et je souris.