Luz y Sombra

Sofiane, 3éme partie

Des raisins blancs dans un bol en porcelaine. Les fleurs jaunes et orangées d’un bouquet de soleil que Papillon m’a offert il y a peu. Une tisane au gingembre. Le recueil de poésies d’Alicia Gallienne, morte à 20 ans, L’autre moitié du songe m’appartient, ouvert à coté de moi. Sa photo en noir et blanc, son visage de poupée andalouse et triste qui me fixe, le fait que je ne pouvais qu’aimer tendrement sa poésie d’enfant mourante. Le chat qui somnole sur la valise rouge. Ma guitare dont j’ai cassé une corde en voulant justement en remettre une; la corde Ré. Mes mains que je n’ai même pas lavé et sur lesquelles ma mouille a récemment séché, vestige d’une énième masturbation en pensant à Sofiane. (Et bien sur, Sofiane Pamart en fond sonore, qui, lui, s’appelle vraiment Sofiane). Le décor est posé. La bougie brûle.

Le week-end dernier, en Normandie, dans la maison de ma soeur, fraîchement achetée (et franchement défraîchie), j’ai beaucoup parlé de Sofiane. Avec ma soeur justement, ma nièce et Y., un ami de ma soeur. J’ai commencé à envisager les choses sous un autre angle.
Mais d’abord, il me faut revenir sur les évènements passés.

Il y a aujourd’hui 4 semaines, pile-poil, j’avais mon premier rendez-vous avec Sofiane. On avait convenu qu’il me retrouverait à Montparnasse, dans la rue où je travaille. Qu’il connait, évidemment.
Je m’étais habillé subtilement sexy. Un jean noir moulant taille haute, un chemisier fleuri noué au dessus de la taille et des Nike noires. J’avais deux ou trois choses à régler sur place avant notre rendez-vous. Tellement stressée que j’en avais presque la nausée. Finalement il m’a envoyé un message pour me signaler qu’il était là. Qu’il m’attendait au coin de la rue, à la Poste. Je suis sortie, j’ai dit au revoir à Xav, à mes collègues (au courant de mon aventure à venir) et je me suis dirigée vers lui. Je l’ai vu avant qu’il ne me voit. Les jambes en coton. Après tout ce que nous avions échangé cet été, il était là. Il m’a vu. On s’est souri tandis que j’avançais vers lui avec toute la dignité dont j’étais capable. Si tu savais à quel point j’ai envie de te sentir en moi. De mêler mon sourire au tiens.
Arrivée à sa hauteur, je lui ai dit bonjour. Un peu gauche. Mais presque tout de suite il m’a pris dans ses bras. Et il m’a serré fort. Plaquée contre lui, beaucoup plus petite que lui (je n’avais pas remarqué comme il était grand), je l’ai serré à mon tour. Ne sachant pas trop ce que j’étais sensée ressentir. Son corps tremblait. Il m’a parlé. Sa voix aussi, tremblait. Je l’ai senti très ému. Je l’ai trouvé amaigri. Bien plus maigre que la dernière fois où je l’avais massé. Je ne sais plus du tout ce qu’il m’a dit. Mais je me souviens de son odeur. Il sentait légèrement la sueur. ça m’a plus. ça m’a rassuré. Je crois qu’il m’a fait un bisou sur la joue mais… Je ne sais plus.
On a marché. Remonté la rue de Rennes. (Cette rue dans laquelle j’avais cassé mes poignets l’hiver dernier. Je lui ai montré l’endroit.) Il n’arrêtait pas. Il n’arrêtait pas de parler. De gesticuler. J’ai compris très vite son hyperactivité. C’est vraiment toi cette fois, il m’a dit. Ce n’est pas une story!
Oui, j’ai ri. C’est vraiment moi.
Son énergie venteuse était telle qu’elle m’obligeait à poser la mienne. Je souriais sans pouvoir m’en empêcher. Parce-que, petit à petit je découvrais : qu’il était le contraire de ce que je m’étais imaginé. On a finalement trouvé une terrasse assez mignonne pour s’asseoir prendre un verre. Tous les deux munis d’un faux pass, bien sur, d’un pass prêté par un tiers. Moi, j’étais Laurianne, 25 ans. Et lui John, 38 ans. J’ignorais à quel moment on était sensé s’embrasser. Mais c’est vite arrivé. C’est venu de lui, une tornade permanente. Au début, la sensation de ses lèvres était étrange pour moi. Il a une moustache (évidemment, ça va de pair avec sa guitare de Manouche) et des lèvres assez fines. Je n’ai pas l’habitude. C’est nouveau. Il était : nouveau.
Je ne sais plus trop dans quel ordre on a parlé : de Marseille, de son ex (avec qui ça s’est très mal terminé, Fany et moi avions vu juste), de la guitare, du jazz Manouche, de son autisme (léger mais avéré) et du fait qu’il n’ait pas de filtres, et puis des massages, de l’invraisemblance de ce que nous vivions… Je ne sais plus trop à quel moment j’ai pris goût, un goût délicieux, presque délirant, à ses baisers, à sa bouche, à sa langue entre mes dents, à sa salive qui persistait sur mes lèvres, à l’ardeur de ses mains dans ma nuque, sur mes hanches, sous ma chemise. Mais, un peu troublée par sa nouveauté exquise, j’ai dû lui dire ce dont je me doutais bien qu’il pensait être de l’histoire ancienne. D’ailleurs, je n’ai pas eu à prononcer les mots. Heureusement d’ailleurs, ils sonnent faux, ne veulent rien dire. Ou ne le disent pas comme il faut.
Simplement, j’ai baissé la tête, très embarrassée. Avec cette peur qu’il se lève et se casse. J’ai baissé la tête et j’ai dit Tu sais que.... Et il a compris. Ah, il a fait, merde. Il pensait que c’était terminé avec Papillon. Il s’était mis en tête que c’était terminé. Et j’ai bien vu; la tristesse dans ses yeux, la déception. L’amertume. ça m’a fait mal au coeur. Et à cet instant, j’aurais aimé qu’il ait vu juste…
(S, je crois que je suis tombé, d’une façon étrangement rapide, amoureuse de toi.)
Je lui ai demandé ce qu’il ressentait par rapport à ça. De la frustration, il a répondu. Tu ne seras pas ma meuf, je dois me faire à l’idée. J’ai des limites… Je dois digérer ça… Je dois juste le digérer.
J’ai vu que dans ses yeux, quelque-chose s’était éteint. Un espoir ?
(S, si tu savais comme je veux tout. Je te veux toi en plus de lui.)

Il s’est vite repris. On a continué à se balader. Jusqu’à la place Saint Sulpice. On s’est posé sur un banc. à cheval, mes jambes contre les siennes. Sa folie joyeuse. Sa relation compliquée à son côté tunisien. (Il est donc métis, maman bretonne et papa tunisien), sa totale surdité de l’oreille droite, Papillon qui part justement dans le Sud la semaine où lui est à Paris, sa terrible envie de me faire l’amour, sa sensation de bien-être totale à mes côtés, ma beauté qui le fait halluciner, l’endroit qu’il nous faudra trouver pour faire l’amour, j’ai envie d’être nu contre toi, de te pénétrer tout doucement, de te dévorer, sa façon de tout dire, tous les mots qui lui passent dans la tête. Je sais que j’ai les yeux qui brillent. Je sais que quand il mord mes lèvres, quand il mordille mon cou, j’ai les reins en feu. Sans aucune gène, il ouvre mon chemisier et découvre mon sein gauche. On est dans la rue. Stop, je ris. Il est dingue et je le kiffe bien plus et de manière bien différente que dans mes fantasmes.
Ce que je vois aussi; une hypersensibilité turbulente, une possible fragilité, une intelligence maladroite et vertigineuse, un cerveau qui va encore plus vite que lui. ça m’impressionne. Je sais que c’est incompatible avec une quelconque idée de couple (enfin je crois, me connaissant), mais je sais aussi que je le veux dans ma vie. Tout mon être, mon coeur, mon corps, chaque cellule de ma peau, le désire sur le long terme.
Je lui fais part de ma timidité. Que je n’ai pas son aisance pour exprimer comme lui mes envies à l’oral, sans filtres et sans fards. Il me dit qu’il saura me prendre la main. Qu’à ce moment là, il saura me prendre la main… Et : je fonds.

Il se fait tard, il a des amis à rejoindre et moi je dois rentrer. On marche jusqu’au métro. Et je le sens conquis. Tu fais fondre mon coeur Anne, il m’enlace, tu me plais très fort.
On s’embrasse comme des amoureux. Sans pouvoir, sans savoir : s’arrêter. On se dit à mercredi. Et moi, je suis conquise. Peut-être même que je le suis depuis la première fois où j’ai posé les mains sur lui, en juin 2019.