Luz y Sombra

L'Amant(e)

Je rêvais de l’Amant, du Mekong, du soleil. De l’amour l’après-midi dans une garçonnière de Saigon. Je rêvais de l’Amant et finalement l’amant c’est moi.

Je n’ai jamais pensé que ça m’arriverait. Que c’était fait pour moi. Que j’étais faite pour ça. Imaginé oui. Je l’ai imaginé; une pointe d’excitation dans le ventre et du découragement dans la tête à l’idée de tous les soucis que ça engendrerait : les mensonges par omission, la dissimulation, le temps qu’il faut trouver, les messages envoyés à la va vite...
Pas fait pour moi.
Mais l’année, terriblement longue et ennuyeuse, a eu raison de l’image que j’avais de moi. L’année a eu raison du personnage que je m’étais construit. L’année a eu raison de mon édifice.

(Je trouve enfin le temps et la motivation pour écrire. Je suis en arrêt parce-que j’ai glissé mercredi sur une plaque de verglas. Au mieux, une double entorse : je suis tombée avec une violence inouïe sur mes deux poignets. C’est ballot, je suis masseuse. Indépendante… Ecrire ne m’est pas aisé mais j’ai le temps. Enfin, moins de temps puisque je viens d’effacer par inadvertance mon heure et demie d’écriture et que ce texte est le recommencement. J’ai failli pleurer.)

16/01/21
Il neige. On a rendez-vous. Montmartre.
Il m’attends déjà. J’arrive à pas maladroits, tentant de ne pas glisser. C’est la première fois qu’il marche dans la neige, lui qui vient d’un pays chaud. Mais il est bien plus à l’aise que moi, qui glisse à chaque pas.
On monte la butte. Il prends ma main dans la sienne, pour m’empêcher de tomber. Parce-que je n’arrive pas à marcher. Ca glisse trop. L’anti-Reine des Neiges, c’est moi. Je ne tiens pas sur mes jambes. Bambi sur le lac gelé, petit faon maladroit et un peu trop mignon. La neige recouvre tout, jusqu’à mon sex-appeal et le peu de dignité qui me reste et que je traîne tandis que ses yeux noirs me scrutent, sans pudeur.
On parle en espagnol. Et en français un peu aussi.
Place du Tertre. Un vin chaud. Ses longues boucles noirs constellés de flocons de neige. On parle en espagnol. On parle d’Histoire. Je lui dis qu’il ne devrait même pas le parler, l’espagnol. "A cause de la Conquête ?" il me demande. Il est beau quand il me dit ça.
"Oui, à cause de la Conquête."
Je ne m’attendais pas à avoir autant envie de lui. Envie de l’embrasser. Une immersion dans ces yeux noirs jusqu’à m’y noyer.
Il fait trop froid. Il neige trop fort. On se réfugie dans le Sacré Coeur. Mes mains dans les siennes pour me réchauffer. Mes mains sont glacées. Les siennes sont brûlantes. Allez comprendre.
Où on peut aller ? On a une après-midi entière à passer ensemble. Et tout, absolument tout, est fermé. Un hôtel ? Un hôtel qui loue ses chambres à la journée. Pour une heure, deux heures ou une demi-journée. J’en ai trouvé un, le matin même. Que j’ai pris le risque de réserver, sans savoir si lui, il a envie de la même chose que moi. Et l’heure tourne et je n’ai toujours rien dit… Il faut pourtant lui annoncer que j’ai réservé un hôtel pour nous. Qu’on y sera mieux qu’à se les geler dehors ou dans une basilique. Je me lance:
"Je dois te dire quelque-chose. Je suis gênée. S’il te plaît, ne pense pas que je suis perverse. Je n’ai pas trouvé d’autre solution pour qu’on soit au chaud. Je nous ai réservé une chambre d’hôtel pour deux heures."
Voilà, c’est dit. Je vois bien qu’il est surpris, même s’il essaie de me mettre à l’aise.
Je m’en veux de ne pas assumer mes désirs. Je m’en veux de ne pas assumer mon intensité. Aux femmes, l’on apprend à avoir peur de leurs désirs, à se méfier de leur intensité. Comment se construire, entre peur et désir ?
J’ai fini il y a peu Rien n’est noir, de Claire Berest, sur l’histoire d’amour légendaire entre Frida et Diego. Por eso me atrevì. C’est pour ça que j’ai osé. Que je l’ai osé lui. Avant, je ne me serait rien autorisé.
On descend de Montmartre pour rejoindre l’hôtel. Ma main dans la sienne. Et bien sur, je glisse et je tombe. Le neige recouvre tout mais dévoile les vraies nature; je suis la femme qui ne tient pas sur ses jambes.
Je me sens déjà tellement embarrassée par le fait de l’emmener à l’hôtel que ma glissade ne me perturbe pas plus que ça.
On arrive. Je bouillonne de honte. Puisqu’aux femmes on enseigne la honte.