Luz y Sombra

Dose de campagne

Cette injonction à ne pas s’écouter, à satisfaire l’égo de l’homme, à ne plus exister pour que lui se sente puissant. Ce viol permanent, consenti pour se sentir normale et/ou être tranquille. Je l’ai expérimenté aussi, bien sur, dans des draps oubliés. Cette simulation du plaisir quand on ne ressent rien, et qu’on s’interroge; qu’est ce qui cloche chez moi ?

Musique écoutée : https://youtu.be/7wvg71IDoAE
(Sofiane Pamart; j’aime son jeu, tellement aérien, ses mains comme des oiseaux qui se posent sur les touches du piano.)

Je suis revenue il y a quelques jours de mon séjour en Normandie. Je suis revenue de la campagne. Est-ce qu’on en revient vraiment, de la campagne ? Quelque part, on est tous de la campagne. On la porte avec nous, toujours. Même au coeur de la cité la plus bétonnée. Je crois que les coeurs, tous les coeurs, aspirent à ce vert tendre, cette douceur vallonée, ces insectes agaçants et rieurs, cet air que l’on devine pur seulement par comparaison avec l’air vicié qu’on respire dans la ville, et qui soudain nous saisi par son immaculée caresse. Particules de rien contre particules fines. Particules de vie contre la mort lente de notre appareil respiratoire, engorgé de ville. La vie contre la ville. La campagne contre le béton. La nature franche contre les arbres rasés et la forêt reconstituée.
Nous parlions de ça hier avec Sofia, lors de notre promenade dans un des (rares) écrin de verdure de notre ville : on a rasé un petit bois, vers Romainville, pour créer une espèce de parcours de santé… Un parcours de santé dans lequel on va replanter des arbres, paysager l’espace, reconstituer une forêt. Mais : une forêt rassurante car créée par l’Homme. A son image. Avec des chemins tamisés et bien proprets.
Quelle absurdité ! Dans ma tête, le lien est court : parcours de santé = raser des arbres. On n’aura vraiment rien compris ! Rien appris !
Quand on sera tous mort du COVID19 ou d’une autre maladie qui arrivera bien vite, il sera trop tard pour réfléchir à l’inconséquence, à l’incohérence, à l’orgueil immense.

Malgré tout, je vais bien. Je me sens bien. Le retour à Paris a été difficile. Mais ça va mieux. C’est surement que la campagne est restée avec moi. Et que je sais qu’elle est là, quelque-part, même dans ma cité bétonnée. Qui, j’exagère, n’est pas si bétonnée : on est entouré d’arbres. Les tilleuls bourgeonnent. Les oiseaux sont nombreux et me sont d’un grand réconfort.
Je me sens bien. Le printemps est ma saison. Même si je suis née à l’aube de l’été, je suis une fille du printemps.
J’ai plein d’idées, d’envies, de projets. (Par contre j’appréhende la reprise du travail).
J’ai bien ancrée, fourmillante, cette envie de me lancer dans la publication de poésie. Je réalise que ce que j’écris, pas seulement ici, mais sur mon portable, un carnet, dans ma tête, s’apparente à une forme de poésie, émancipée des normes classiques, ancestrales et rigides. Ces normes, instituées par un académisme patriarcal, entravant la créativité. Rupi Kaur, la poétesse qui monte en ce moment, s’est affranchie de ces constantes. Je lis actuellement son recueil Lait et Miel. Je ne sais pas si j’aime. (C’est une traduction, ça dénature forcément la poésie.) Mais c’est novateur. Dans la forme, c’est surprenant. Il y a ce texte qui m’a touché cependant, dans la première partie de son recueil intitulée Souffrir:

"tu me rentres dedans avec deux doigts et c’est un choc. c’est du caoutchouc qui frotte contre une plaie ouverte. je n’aime pas. tu pousses de plus en plus vite. mais je ne sens rien. tu cherches à déceler une réaction sur mon visage alors je commence à simuler ces femmes nues dans les vidéos que tu regardes quand tu penses que personne ne te voit. j’imite leurs gémissements. faux et affamés. tu me demandes si c’est bon et je réponds oui aussitôt comme dans un souffle préenregistré. je fais semblant. tu ne le remarques pas."

La tristesse et la violence de ce texte. (Tout le contraire de l’amour avec A.)
Cette injonction à ne pas s’écouter, à satisfaire l’égo de l’homme, à ne plus exister pour que lui se sente puissant. Ce viol permanent, consenti pour se sentir normale et/ou être tranquille.
Je l’ai expérimenté aussi, bien sur, dans des draps oubliés. Cette simulation du plaisir quand on ne ressent rien, et qu’on s’interroge; qu’est ce qui cloche chez moi ?
A mon âge, j’ai cette certitude que ça ne m’arrivera plus. Même si, comme beaucoup de gens, j’ai été violée.
Rupi Kaur. Tout ça pour dire que je suis viscéralement habitée par la poésie. Et que je pense à un recueil de tous mes textes sur mes origines, que j’intitulerai Héritage. C’est à ça, exactement à ça, que je pensais samedi matin dans le métro pour rejoindre ma soeur. Je pensais à Héritage. Soudain, un homme (qui s’avéra être une femme) monte dans le métro un livre à la main. Je regarde le titre. Héritage. (Oui, Héritage, de Miguel Bonnefoy). Saisie de joie, je l’ai pris pour un signe.

Finalement je n’ai pas écris sur mon séjour à la campagne. Je le ferai plus tard. J’ai faim.