Bilan
Margot a accouché lundi en fin de journée de sa petite fille au prénom carnassier. Je suis heureuse pour elle, moins pour sa petite fille. Même avec un prénom aussi puissant, elle ne sera pas épargnée par ce qui se passe ici, et par ce qui : s’y passera.
J’aurai aimé, je pense, m’appeler comme ça. Le prénom je ne l’ai pas. Mais j’ai le tatouage pour exprimer cette animalité. (Il aura bientôt 10 ans, d’ailleurs, ce tatouage).
Dix ans aussi, que je connais Margot. En août, ça fera 10 ans. On s’était rencontré en Floride, dans un sanctuaire de sauvetage et de soins pour grands félins. J’avais immédiatement eu un coup de foudre pour cette jeune fille (elle avait 21 ans à l’époque, moi 25) au regard généreux, à la drôlerie irrésistible. Aujourd’hui, elle est maman.
C’est fou la vie. On s’est vu samedi au jardin Albert Kahn et le lendemain elle est rentrée à la maternité.
Je ne peux même pas lui faire les cadeaux que j’ai envie de lui offrir, car je n’ai pas reçu ce fichu fonds de solidarité... On vient de me répondre qu’il faut que je fasse une nouvelle demande le vendredi 7 mai. J’en ai plus que marre de cette précarité.
Comme le sabbat de Beltane arrive le 1er mai, je me suis dit ce matin qu’il serait intéressant d’écrire un bilan de mon hiver pour réfléchir à ce que je pourrai en tirer, en comprendre, en apprendre.
Selon la tradition païenne, Beltane célèbre l’arrivé de l’été et la fécondité. C’est le moment d’être dans l’action, de poser les graines de ce que l’on souhaite récolter au solstice d’été.
Le bilan de mon hiver donc.
Je retiens de mon hiver, dans l’ordre;
cette tristesse immense pour un vieux chat croisé un jour de grand froid. Un vieux chat de mon quartier, malade et abandonné, dont la détresse évidente m’a causé une peine infinie. Vraiment, ça m’a tourmenté des semaines. J’ai tenté des choses pour l’aider. Je sais aujourd’hui qu’il n’est pas seul et qu’une dame des environs s’en occupe. Mais : cette tristesse était démesurée, imperméable au reste. Je me souviens en souriant que, même si Papillon s’est montré touché et attendri par ma grande sensibilité, il n’a pas compris un tel ouragan de chagrin.
cette prise d’ecstasy au Nouvel An. Sortir de ma zone de confort, le coeur battant. Mais suffisamment bien entourée pour ne pas avoir peur. Papillon était là et m’a accompagné tout du long.
cette détermination à faire d’Alejandro mon amant. Et puis cette aventure, délicieuse et intense. Cette immersion dans les flots d’une excitation retrouvée. Que je pensais avoir perdu en chemin, quelque part entre mes 21 et mes 28 ans. Quelque part entre le Mexique et la place de la Bastille. Cette illusion que j’avais trouvé un homme à ma hauteur, prêt à voler avec moi dans des espaces azurés. Cette aventure qui : s’est arrêtée au bon moment, puisque l’homme n’avait ni ailes, ni légèreté.
cette déception terrible. Ce retour en terre. Et puis:
ma chute un jour de neige. Cette glissade douloureuse, comme un point presque final (j’ai revu A. une fois après ça, pour faire l’amour sans savoir que c’était la dernière entrevue.) Ces os brisé. Pas n’importe lesquels non; mes poignets, à la fois lieux de toutes mes faiblesses et outils les plus précieux pour mon travail. Pas de hasard, jamais, jamais.
cette immobilisation forcée et je dois l’avouer, ce soulagement à ne pas aller travailler. Cette immobilisation forcée qui m’a quand même couter 5 kilos en plus dont il faut absolument que je me débarrasse...
la reprise de l’écriture. Point le plus important de mon hiver figé. Le bonheur de mettre en mots les tourbillons dans ma tête. Le bonheur de raconter mon aventure avec A. Qui, bien qu’il m’ait déçu, a fortement contribué à mon retour à l’écriture.
la publication de mes haïkus. Oser dépasser mes appréhensions et croire en ma créativité. Croire qu’il y a de la place pour moi aussi, dans le monde de la poésie.
et finalement la prise de conscience que, vu l’entrain que j’ai à l’idée d’y retourner, mon travail m’ennuie passablement. Je dois reconsidérer, redéfinir, faire évoluer. Je ne m’amuse (presque) plus.
Voilà mon hiver. Mis en ordre, j’y vois un cheminement. Un fil conducteur. Un sens. De la tristesse suprême à la libération ultime.
Libération car, c’est à l’équinoxe de printemps qu’on m’a libéré de mes attelles. Comme un symbole de renaissance.
Tout comme il y a 4 ans, c’était à l’équinoxe de printemps que j’avais avorté. Qu’on m’avait libéré de mon foetus. De quoi j’avorte quand j’avorte ?
A ces deux libérations au moment de l’équinoxe, je ne vois pas de hasard. Seulement la symbolique d’une renaissance nécessaire.